La logique et le mystique brûleront (partie 1)
[Hahahahaha. Bien le bonsoir à vous ! On se retrouve enfin pour continuer dans notre histoire. Alors… où en étions-nous arr… Hahahaha. Vous faites vraiment pitié ! Pourquoi m'adressez-vous une telle mine triste ? Avec ces têtes, vous n'arriverez à rien. Hahahaha. Ah ! Je pense connaître la source de vos maux. Le procès ! Vous voulez savoir comment ça s'est terminé. Et bien, le verdict m'a plu. L'accusé va être torturé pour qu'il avoue ses méfaits. Ensuite, on le brûlera vif sur un bûcher. Il a été dit que certaines séances de martyres seront publiques. L'exécution finale se donnera sur une immense place où des milliers de personnes passent chaque jour. Hahaha. C'est très juteux ! Hahahahaha. Bon allez ! Sans plus de bavardages inutiles, remettons-nous à Lancio…
« Lancio ! Lancio ! criait une voix de femme. Lancio ! Viens ! »
Cet appel était comme transporté par le vent. Toujours, il sifflait la même chose. Toujours dans les ténèbres. Toujours accompagné d'une étrange sensation obscure. Lancio courait à s'en briser les côtes à la recherche de la source de l'appel. Il entendait derrière lui des bruits d'agitation et des grognements menaçants. Des inspirations sauvages et une haleine de bête se dégageaient dans le dos de Lancio. Le jeune se mit à accélérer sa course ne pensant même plus à respirer. La voix continuait son appel :
« Lancio ! Lancio ! »
Mais il ne savait rien de l'endroit d'où cette voix venait. Il se dépêchait pour s'enfuir ou pour atteindre son but invisible. Parfois, dans l’ombre qui entourait le garçon, un minuscule faisceau lumineux paraissait et dévoilait de grands murs craquelés de la même couleur que le sable qui les ensevelissait. En plus d'être poursuivi par des monstres et attendu par une voix, Lancio allait étouffer sous un amas de sable. Tout serait perdu. Le fuyard avait beau accélérer le rythme, il entendait toujours les mêmes bruits devant et derrière lui. Pire ! Il sentait que ses poursuivants le rattrapaient. Ne pouvant courir plus vite, il continua vainement. Il sentit un doigt crochu sur son épaule déchirer sa peau et son vêtement sale. Il saigna à grosse goutte. Cette blessure s’approfondissait à mesure que la ballade se rythmait plus rapidement. Le jeune arracha un morceau de tissu de son habit et dans un mouvement de hâte l'entoura autour de la griffure à l'épaule en serrant comme un forcené. Son bras était désormais trop endommagé pour qu'il pût continuer à s'en servir. Lancio sentait ses jambes ralentir. Il goûtait peu à peu à la douleur que lui causèrent d'autres mains aux griffes acérées dans son dos. Le garçon grinça des dents mais progressait dans sa course. Hurlant à la mort, il criait aussi à la recherche d'aide. Seul son propre écho lui revenait ainsi que la voix ne cessant d'appeler le garçon. Il perdait peu à peu son endurance. Il n'y avait presque plus d'espoir de survivre… mais tout n'était pas terminé du moins, tout ne pouvait pas se terminer ici. Serrant les dents à se les casser, Lancio rassembla des derniers efforts pour persévérer. Son cœur battait à en sortir de sa cage thoracique. Le dos rouge de sang, il continuait à avancer. Tout se ressemblait tellement, qu’il avait l'impression de tourner en rond. Il pouvait reconnaître toujours les mêmes lierres grimpants qui ressortaient des fissures aux murs. Le couloir emprunté ne changeait jamais de largeur et n'avait pas de fin. Le sol ne cessait de faire défiler les mêmes dalles. Le faisceau lumineux apparaissait toujours au même endroit, au même moment. La voix ne cessait d'appeler. Elle paraissait familière. Un mot revenait en un simple refrain : ‘’Lancio’’. Le garçon souffrant n'en pût plus. Il avait beau retenir son sang de couler mais les blessures étaient trop graves. Il se laissa tomber. Les horribles créatures derrière lui se jetèrent sur leur proie. Leurs faces se cachaient dans l'obscurité. Impossible de savoir qui étaient ces prédateurs. Les bêtes avaient des dents pointues mâchant et déchirant la viande d'une violence sans pareille. Lancio sentit des crocs dans son bras blessé. Il cria de douleur. Après avoir goûté au garçon, les sauvages lui arrachèrent son bras en entier pour commencer à le rogner. Lancio hurla à la mort de nouveau et versa une larme de douleur. Il voyait son sang gicler partout à une vitesse élevée. Il apercevait la gueule des bêtes briller de faim malgré le manque de lumière. D'autres crocs plus longs et pointus se plantèrent dans sa jambe. Lancio grinça des dents. Il était fini. Il commençait à doucement refermer ses paupières et céder à la mort. Il se tourna vers un lierre grimpant sur un mur et tira dessus avec la main ensanglantée qui lui restait. La feuille de la plante accueillit la couleur écarlate à merveille. Le garçon tira encore plus fort même si sa main glissait. Les feuilles perdaient leur vert pour se teindre de rouge. Il s'obstinait à tirer le lierre comme si sa vie en dépendait. Le sable tombait sur sa main et se plaquait sur le sang provoquant des picotements sur les plaies. Il souffla et respira un dernier coup. Il sentait les bêtes tirer sur sa jambe pour la séparer du corps du garçon. Lancio essaya encore de mouvoir le lierre en criant à ses agresseurs :
« Non ! »
Le plante grimpante se détacha. Lancio sourit. Le sol s'affaissa et sous le poids de toutes ses créatures, il craqua et se brisa sous la victime dévoilant dans la chute deux parois de falaises isolant dans leur rencontre un long cours d'eau fluorescent de bleu. Le visage couvert de sable et de sang, Lancio inspira et ferma ses yeux. Les créatures qui le dévorait ne paraissait pas savoir nager. Elles allaient mourir noyées. La chute des corps fut longue. Lancio fracassa l'eau de son dos. Un plongeon raté qui gifla les griffures de sa face arrière. La douleur devenait insupportable. La mort s’acceptait plus facilement que la survie. Comme prévu, les créatures sauvages moururent d'avoir avalé trop de liquide. Une dizaine de cadavres flottaient ou coulaient dans l'eau. Bientôt, Lancio allait se rajouter à ce funèbre décompte. En flottant, il se faisait porter par le courant attendant patiemment son heure. La blessure qu'avait causé l'arrachement de son bras répandit son sang partout dans l'eau. Le jeune en perdait trop et trop vite. Cependant, Lancio sentait bizarrement des picotements sur toutes ses plaies. Elles avaient l'air de brûler. Le jeune goûta de l'eau éclaboussée sur ses lèvres. Elle était salée ! Il entendit à nouveau la voix féminine qui l'appelait :
« Lancio ! Lancio ! Lancio ! »
Pendant sa chute dans la rivière bleue, l'appel avait cessé. Il recommença peu après, pendant la noyade des monstres. Comme attiré par cette voix et le mystère qui l'entourait, Lancio utilisa des forces surnaturelles qui lui venaient d'on-ne-sut-où pour agiter son bras restant et ses pieds. Il nagea jusqu’au moment où il fut trop faible pour continuer. La voix était sa motivation. À force d’avancer et de suivre le courant, il arriva à toucher terre. L’embouchure du cours d'eau était un petit espace de pierre où Lancio se trouvait. Sous l’eau, il y avait une grille incrustée dans la roche qui permettait le passage des liquides. D'un seul bras, le garçon s'éleva sur la plateforme rocheuse. Il s'étala par terre pour reprendre son souffle. Après quoi, il contempla ses blessures. À sa grande surprise, les écorchures avaient cicatrisé sans exception et le déchirement principal se recouvrait d'un voile rosâtre parsemé de points blancs. Fût-ce une rivière miraculeuse qui venait d’être traversée ? Lancio ne s'en tracassa point. Il rampa sur le sol jusqu'à atteindre une porte en pierre fermée. D'un doigt instable, il toucha ce qui ressemblait à une serrure :
« Lancio ! Lancio ! »
La voix semblait provenir de derrière cette entrée de roche :
« Lancio ! Lève-toi et prends la clé ! »
Étonné des ordres donnés et du nouveau couplet de la voix, le garçon se dressa sur ses deux jambes non pas sans peine :
« La clé ! insistait la voix de femme. »
Lancio regarda autour de lui. Rien à sa droite, rien à sa gauche. Il n'y avait que des rochers et de l'eau. Mais la voix continuait :
« La clé ! »
Sans trop de conviction, il plongea sa main dans une poche. Rien. Il promena cette même main dans l'autre. Toujours rien… si ce n'était… dans le coin de sa poche gauche ses doigts touchaient un minuscule objet froid. Il l'attrapa et le sortit. Stupeur ! Une petite clé métallique se vantait devant son regard. Elle était grise, pas très brillante mais massive pour sa taille. Elle n'avait rien de particulier :
« Ouvre la porte ! murmurait tendrement la voix. »
Lancio introduisit la clé dans la serrure et tourna deux fois vers la droite. Un déclic se fit entendre. Ensuite, une course lente de rouages tournant se fit ouïr. Peu à peu, la porte s'ouvrait. Lourde, elle se frottait contre le sol créant ainsi un nuage de poussière peu appréciable. Une fois entièrement ouverte, Lancio passa la tête à l'intérieur. Il faisait noir. Il ne voyait rien. En repensant à ses poursuivants de tout à l'heure, il fut saisi d'un frisson. Mais la voix l'appelait :
« Lancio ! Lancio ! »
Comme hypnotisé, le jeune avança malgré l'obscurité, sa curiosité étant puissante. Il s'enfonça dans l'ombre. La porte s'était refermée derrière lui en un claquement très bruyant qui le fit sortir de sa rêverie. Se voyant dans les ténèbres, Lancio cria à la recherche de quelqu'un. Son écho ne lui revint même pas. C'en était trop. Au parvis de la mort et à l'agonie, le garçon se jeta par terre. Il respirait lourdement et péniblement. La voix, quant à elle, se rapprochait plus du murmure que d'une parole audible :
« Lancio ! Lancio ! Lève-toi et avance ! »
Le jeune n'en pouvait plus. La douleur qu'il subissait était torture. Il se laissa mourir dans le noir abandonnant tout espoir de retrouver la personne qui l'appelait avec une voix qu'il connaissait extrêmement bien…
Lancio ouvrit les yeux en sursaut. Il se tourna vers son bras. Le membre était à sa place. Il souleva son habit. Aucune blessure au ventre. Il se tâta le visage. Pas de sang, juste d'énormes gouttes de sueur. Il tendit l'oreille. Pas de bruit ou de voix. Enfin, il jeta un œil aux alentours. Il n'était pas dans le couloir infini en ruine. Il souffla un bon coup et reprit une respiration au rythme normal. Puis il se chuchota :
« Encore ce sale cauchemar... »
Hahahahahahaha. Une mort bien belle ! Je n'aurais espéré meilleure. Hahaha. Les rêves… Ah ! Je peux vous dire que c'est un sujet passionnant que je n'ai cessé d'étudier. Certains magiciens y recherchent des signes. Pour ma part, et en connaissant le cas de Lancio, je pense qu'ils montrent un reflet de la réalité… Hahahahaha. Je vous ennuie avec mes leçons. Je le vois bien. Hahaha. Allez on continue…
Lancio se leva de la chaise où il s'était endormi. Il essuya d'une main son front transpirant. Sans trop faire de bruit, il se dirigea vers le fond de sa chambre où une bassine était remplie d'eau. Il prit les précautions nécessaires pour ne pas faire craquer le plancher et une fois à destination, il trempa ses deux mains dans le liquide incolore pour s'en imbiber calmement le visage. Le jeune répéta le geste trois fois. Puis, relevant sa tête, il s'admira dans le miroir juste en face de lui. Il se voyait, bouche ouverte respirant de grandes bouffées d'air, yeux exorbités par la peur et cheveux décoiffés. Il passa une main mouillée dans sa coiffure pour essayer de l’arranger un peu. Après quoi, il détourna son regard de la glace pour observer les alentours. Il faisait sombre. La lune ne veillant pas cette nuit, les ténèbres en étaient multipliées. Lancio se concentra et fit un nouvel effort pour marcher dans ce noir profond. Ne voulant pas réveiller sa créature ou qui que ce soit d'autre, il avançait sur la pointe des pieds. À un moment, son gros orteil heurta une surface dure. À en témoigner de la douleur et de la consistance, le garçon venait sûrement de trouver une chaise et la table qui allait avec. Serrant les dents, il tâtonna le dessus du meuble à la recherche d'une bougie ou d'une lampe à huile. Lorsqu'il eût trouvé ce qu’il cherchait, Lancio se dirigea vers son lit où dormait son compagnon les yeux ouverts. Le garçon agita ses bras à la recherche de la table de chevet à coté du lit pour y rechercher une allumette. Une fois le petit morceau de bois trouvé, il en gratta le bout sulfureux et fit paraître la lumière. La chambre enfin visible, il se hâta de partager la flamme de l'allumette avec la mèche de la chandelle trouvée auparavant. Puis secouant le morceau de bois en feu pour l'éteindre, Lancio se dirigea vers le pied de son lit, là où se trouvait son sac. Il tira sa bourse prêt de la lumière et s'installa sur la chaise à proximité de la table. Le jeune se tortilla un court moment avant de gonfler ses poumons d'air. Il soupira se disant qu'il ne saurait plus s'endormir à cause de son cauchemar qui venait de reparaître. Le jeune se rappelait la fois où il rêva ces ignominies pour la première fois. Il se trouvait chez ses grands-parents dans son lit. Il devait avoir deux ans de moins. Le cauchemar était tellement fort qu'à son réveil, il attrapa la fièvre. Le lendemain, il avait vomi ses tripes et s'était vidé de ses organes. Il n’avait cessé de se tordre dans tous les sens pour éviter la douleur. D’horribles souvenirs… Des badauds étaient venus le visiter et même des prêtres s'étaient inquiété du sort de Lancio face au monde divin. Pour eux, ce rêve horrible évoquait trop de symboles maléfiques. Le pauvre garçon dût supporter pas moins d'une demi année de cauchemars. À force, il s'en était habitué tout comme les visites qui avaient suivi. De là, il n'attrapa plus de fièvre mais ses rêves devinrent de plus en plus sombres et effrayants. Naïf, Lancio racontait toujours ses cauchemars à tout le monde si bien qu'ayant trop peur de faire de pareils songes, tous les villageois s'en étaient éloigné comme si le jeune était affecté d'une peste dangereuse. Ce fut d'ailleurs à ces moments que son grand-père, pour essayer de lui faire oublier ses tourments et lui mettre des choses plus agréables en tête, lui avait appris à lire. Les premiers essais furent périlleux mais avec le temps, Lancio réussit à discerner chaque lettre et chaque son écrit sur du parchemin. Seulement, les seuls bouquins qu'il lisait n'étaient que des ouvrages racontant les aventures de son grand-père. Pour le jeune lecteur, l'occasion se présentait parfaite pour vérifier son niveau. Très vite, Lancio finit les trois premiers livres sur les périples de son aïeul en un mois et une semaine. Tellement passionné, il continua. Le résultat fut parfait. Non seulement Lancio avait su se débarrasser de son cauchemar mais en plus il avait une envie immense de partir à l'aventure. Et bien, à ces moments, ce jeune ne savait pas qu'il suivrait son grand-père…
Hahahahaha. Quand on y pense, la chose s'avère vrai. Lancio est devenu un aventurier ! Maintenant, ça ne se passe pour l'instant qu'à Classifika. C'est embêtant… Hahahahaha. Mais ne vous inquiétez pas, chers lecteurs. Au vue des récents événements dans la ville, Lancio et Naël n'en ont plus pour bien longtemps. Hahahahahahaha.
Lancio savait comment oublier son rêve. Il lui fallait éveiller à nouveau cette envie pour l'aventure et le meilleur moyen pour ce faire en pleine nuit était la lecture. Il sortit de sa sacoche tous les livres qu'il possédait. Parmi ceux-ci, on observa le répertoire qu'avait offert Rita, le livre sur les origines d'Origue volé à la bibliothèque de Classifika et un bouquin n'ayant pas de titre. Le dernier ouvrage rappela à Lancio sa rencontre avec Ikaïn dans la chambre de Mitraque. Par ailleurs, le mage sans visage avait accordé une importante valeur à ce livre. Il avait dit :
« Reprends ça avec toi. Je suis étonné et d'un rien déçu car j'avoue l'avoir ouvert et à ma surprise, rien n'était écrit à l'intérieur. En tout cas, personne ne doit mettre la main dessus si ce n'est toi. »
Lancio intrigué par le contenu du bouquin fut pris par une envie de le lire. Il plaça le livre devant lui sur la table et l'ouvrit. Bizarrement, le bouquin ne voulait pas révéler son contenu. Il était fermé. Le jeune lecteur étonné réessaya. Il tenta des prises différentes avec ou sans une multitude d'objets. Encore et encore mais rien ne se passa. Les pages restaient collées entre elles et les couvertures semblaient s'attirer l'une l'autre. Impossible de l'ouvrir. Impossible de le lire. Frustré, le jouvenceau rangea ce malheureux bouquin dans son sac. Il n'en restait que deux sur la table. Le répertoire à créature et les origines d'Origue voire du monde. Lancio se rappela à quel point son compagnon aux yeux colorés aimait écouter l'histoire des débuts de la région. Il ne se sentait pas le cœur de continuer sans lui. Il se dirigea donc vers le dernier livre, le répertoire. Il ouvrit lentement l'ouvrage au niveau du début. Après avoir feuilleté des pages sans y porter attention, Lancio tomba sur Cizayox, l'une des créatures de Naël. Avant de se plonger dans la lecture, le jeune admira les illustrations à côté du texte. Un être bipède était dessiné. Une armure rougeâtre et deux énormes pinces représentaient ses moyens de défense. Des ailes fixées à son dos lui donnaient meilleure prestance et un air plus sérieux et puissant. Ses pattes semblaient pouvoir le propulser à des vitesses extraordinaires. Des iris jaunes scrutaient la vaillance des âmes adverses. Au cas où l'adversaire ne plaisait pas à Cizayox, il pouvait lever ses pinces aux motifs de la peur et intimider la créature jugée comme indigne d'être combattue. La nature avait fait des plus rares de l'espèce des combattants émeraudes aux sauvages ambitions. Une vague d'admiration s’éleva dans le cœur de Lancio. Cette créature aussi puissante ne pouvait se combiner qu'avec un dresseur de la même envergure. Le jeune voyait l'étendue du rôle de Naël. Seul un Cavalier de l'Ordre avait le don de se faire respecter par les êtres les plus forts de la nature. Mais derrière ce fabuleux pouvoir se tenait une série abominable d'efforts et une fonction de Cavalier lourde à porter. Lancio convoitait et plaignait le général. D'une part, Nathanaël était un homme respecté non seulement par son rôle de Cavalier de l'Ordre mais aussi par sa vocation militaire qui l'avait porté haut dans la hiérarchie qui s'y rapportait. Mais d'un autre côté, il avait le devoir indéniable de protéger tout ce qui vivait. De plus, il avait à administrer une armée mais aussi des personnes partageant ses idées. Et pour porter tous ces poids, il avait choisi un Cizayox pour l'accompagner. Lancio allait vite comprendre les raisons de ce choix…
Hahahahaha… J'ai toujours apprécié avoir une créature pareille à celle de Naël en ma compagnie. La puissance permet de se sentir en sécurité pour certains. Mais pour moi, c'est un excellent moyen d'oppression sur les foules… Enfin, là où je vis, il n'y a plus d'intérêts à oppresser les foules. Hahahahaha…
Le jeune se lança désormais dans la lecture des descriptifs en rapport avec Cizayox. Il commença à chuchoter :
« Cizayox, le Pokémon Pinces de type Acier et Insect est la forme évoluée d'Insécateur. Lorsqu'un Insécateur est prêt pour l'évolution, il se rend dans des terres humides riches en métaux et surtout en fer. Lorsqu'un contact électrique se produit entre un Insécateur et un morceau de métal massif, le Pokémon Insect évolue en Cizayox. L'armure de fer qui recouvre Cizayox lui permet de parer les coups physiques et la robustesse de celle-ci offre des occasions de contre-attaquer au Pokémon Ciseaux. Lorsque Cizayox part chasser, il se sert régulièrement de ses pinces pour attirer ses proies, les intimider en plein combat et les broyer. Les techniques de combat de Cizayox sont très variées. Il peut tout à fait fatiguer son adversaire en multipliant des coups faibles mais rapides tout comme asséner de puissantes attaques dévastatrices. De même, malgré la prise de masse due à l'acquisition de son armure, Cizayox a toujours une certaine capacité de voler. Il ne s'en sert pas comme tel. En général, ses ailes lui servent de support. Elles lui servent à améliorer la longueur ou la hauteur de ses sauts. Qui plus est, elles jouent un rôle important dans le mécanisme de régulation de température interne de Cizayox. Des battements réguliers de ses ailes lui assurent une température interne assez basse afin d'éviter la prise de chaleur et la déformation de son armure. Contrairement à beaucoup d'autres Insect, Cizayox n'émet pas beaucoup de phéromones. En saison des amours, un Cizayox mâle recherche une femelle par des bourdonnements produits au sein même de son armure de métal. Ce moyen d'attraction est extrêmement bruyant en raison des résonances circulant dans la structure métallique de la créature. Par ailleurs, et en général, les Cizayox femelles ont un abdomen plus développé que les mâles. Ceci constitue un moyen précieux pour différencier le sexe des individus. »
Lancio était fasciné par ce qu’il lisait. Il voulait presque posséder un Cizayox. Malheureusement, il passa directement à une partie de la page de description consacrées au dressage de la créature :
« Alors, continua Lancio, où en étais-je… ? Ah ! Voilà ! Dressage de Cizayox, commença-t-il à lire. Les Cizayox sont extrêmement hostiles à tout individu même à leur propre espèce. Un dresseur expérimenté aura du mal à pouvoir dompter pareille créature. La majorité des Cizayox ne se gênent pas de montrer une certaine supériorité méprisante pour leurs adversaires. Par contre, lorsque l'un d’entre eux a été défait, le perdant s'incline en respect pour son adversaire. Pour pouvoir gêner un Cizayox, il est fortement recommandé d'utiliser du Feu où des capacités de catégorie spéciale. En effet, Cizayox jouit d’une excellente défense grâce à son armure mais sa défense spéciale est une faiblesse difficile à cacher. Par ailleurs, le seul type efficace face à lui est bel et bien le Feu. Les dresseurs avides des Cizayox usent de la capacité Lance-Flammes pour arriver à leur fin… »
Lancio garda ces conseils en mémoire. Peut-être seraient-ils utiles en face à face contre Naël et son compagnon rouillé. Le jeune avait tellement hâte de revoir un Cizayox de ses propres yeux. Le soucis résidait dans le choix d’adversaire pour l’Insect rouge. Entre une créature complètement inconnue et un Tarsal, il n'y avait pas de quoi sourire. Plongé dans ses imaginations, Lancio se tourna vers son lit. Son compagnon, toujours les yeux ouverts et gris, semblait avoir sombrer dans un profond sommeil. À cette vue, le jeune dresseur sourit doucement et cligna des paupières péniblement. La fatigue avait réussi à le gagner à nouveau. Lentement, il souffla sur la mèche de la chandelle et déposa sa tête sur ses livres encore ouverts à la page de Cizayox qu’il n'avait pas fini de lire. Ensuite, il bâilla et s’endormit après quelques temps…
Hahahahaha… Comme c’est merveilleux ! Dommage que Lancio n'ait pas terminé la description de Cizayox… J'ai toujours adhéré à la lecture de pareil bouquin. Ils sont si instruisant et me permettent de me faire des idées sur les créatures peuplant ce monde. Créatures pour lesquelles je n'éprouve aucune estime… Il n'y a que Bouffonnette qui a réussi à me montrer ce que je voulais voir à la différence de ces autres monstres. Ma poupée m'a montré… Elle m'a montré… Hahahahahaha. Non, non, non, non, non… Vous devez le deviner. Je pense qu'elle sera à même de vous le montrer en temps voulu. Hahahahaha…
La lumière transperçait de ses rayons la fenêtre de la chambre de Lancio. Dehors, on entendait des foules parler et marcher dans les rues. Des Picassaut prêts à migrer pour l'hiver chantaient leur dernière sérénade automnale. Une cloche résonnait au loin. Des enfants criaient de joie en jouant avec des Rattata. Parfois des cris de marchands retentissaient. La nuit avait disparu et le jour reprenait le relais.
Lancio ouvrit un œil. Il vit une bougie légèrement fondue et éteinte, un des bouquins qu'il avait sorti de son sac la nuit dernière et la porte un peu plus loin. Le jeune décolla sa joue de la page du répertoire sur laquelle il s'était arrêté. Puis, il s’étira lentement et laissa échapper un long bâillement. Il se frotta les yeux de ses poings puis se leva et se dirigea vers la bassine d'eau. Arrivé à destination, Lancio plongea sa tête dans le liquide et resta peu de temps sans respirer. Une fois la tête hors de l'eau, il se munit de savon et frictionna violemment la peau de son visage avec. Puis il déposa le morceau de savon et se rinça en replongeant sa tête dans la bassine. Après quoi, il s'essuya calmement avec une serviette de bain. Ensuite, il alla s’assoir et se tourna vers son lit. Sa créature n'y était pas. Pris de panique, Lancio ouvrit la porte de sa chambre à presque la défoncer et courut à travers le premier étage de l'auberge. Il chercha dans tout le couloir… Sans résultat. Il retourna dans sa chambre, regarda sous le lit, sous les tables et les autres meubles, derrière le miroir, dans la garde-robe où même dans les tiroirs, rien… Puis, en un éclair de lucidité, il se précipita dans la chambre de Naël. Il ouvrit sans frapper et trouva le général par terre, torse nu et complètement détrempé. Il faisait ses exercices étirant et contractant ses muscles massifs. Sur son dos était assis le compagnon de Lancio. Le jeune dresseur soupira. Naël, lui était perdu dans ses pompages :
« 192, 193, 194, 195, compta le général, 196, 197, 198…, 199 et 200. Ouf ! »
La créature de Lancio n'avait pas arrêté d'observer le général pendant tout son entraînement. Une fois terminé elle quitta le dos de Naël et se réjouit de la prochaine session. D'un bond, le général se releva. Il fut surpris de voir son apprenti dans sa chambre :
« Oh ! Mais qu'est-ce que tu fais là ? commença-t-il avec un air sympathique. Je ne t'ai même pas entendu entrer. »
Le jeune un peu fatigué et impressionné par l'extraordinaire musculature de son maître bégaya :
« J-j-je suis venu pour lui, dit-il en pointant sa créature.
-Ça ne m'aurait pas étonné, répondit Naël en se rendant vers sa bassine remplie d'eau. On va descendre ensemble. En attendant, prends place. »
Lancio tira une chaise et posa son derrière dessus. Son compagnon aux yeux désormais jaunes se jeta dans le lit du général. Tout en se rafraîchissant, Naël faisait la conversation à son apprenti :
« Ça va ? T’as passé une bonne nuit ? demanda-t-il.
-Euh… J’ai juste fait un cauchemar… Mais rien de bien palpitant, répondit le jeune. Et toi ?
-Moi, une super nuit. On dort vraiment bien ici. Mais bon… Les récents évènements n'ont pas rendu ma nuit facile aussi. J'ai aussi cauchemardé et je me suis réveillé lorsque les premiers rayons de soleil illuminaient cette chambre. Alors, ne sachant plus retrouver le sommeil, je me suis mis à faire des exercices jusqu'à maintenant. »
Le général regarda dehors :
« À croire que je n’ai pas vu le temps passer. Il est presque midi, s’exclama-t-il.
-Attends… posa Lancio. Tu as commencé au lever du jour pour finir avant midi ? Mais, mais…
-C’est important de s'exercer, coupa Naël.
-Oui mais tes efforts sont surhumains ! s’étonna le jeune garçon. »
Le Cavalier Acier répondit par un sourire puis s'aspergea le visage de jets d’eau. Son apprenti n’en revenait pas. Autant d'heures d'exercices ne pouvaient être effectuées que par des êtres fantastiques. L'admiration de Lancio pour Naël ne cessait de croître. Sa rêverie fut coupée par une demande de son maître :
« Pourrais-tu te retourner un moment. J’aimerais garder un minimum de pudeur, expliqua le général.
-Oui bien sûr. Je comprends, répondit Lancio. »
Après sa tête, Naël dût passer par le nettoyage du reste du corps. Il prit du savon, le trempa dans l'eau et commença sa toilette tout en continuant la discussion avec son élève :
« Lancio, commença Nathanaël, je suis vraiment désolé pour ce qu'il s'est passé la nuit dernière. Et je voulais que tu saches que mon secret de membre de l'Ordre te serait parvenu un jour ou un autre. Alors, je regrette de ne pas t'avoir tout dit de suite et…
-Ne te tracasse pas, interrompit Lancio, tu es tout pardonné mais tu n'as pas à te reprocher ta propre vie. C’est plutôt à moi de te présenter mes excuses. J'aurais dû t'expliquer mon aventure face à Ikaïn. Je suis désolé…
-On est quittes dans ces cas-là, sourit le général. Dis-moi… Tu saurais me passer la serviette sur le meuble à ta gauche ?
-Euh… Oui, balbutia le jeune dresseur. »
Toujours sans porter un regard sur le général, Lancio s’empara de la serviette et tendit son bras vers l’arrière. Une force le tira légèrement en arrière suivi d'un ‘’Désolé ‘’ et d'un ‘’Merci ‘’. Naël avait une forte poigne. Peut-être ne se rendait-il pas toujours compte de sa puissance musculaire. Paré de sa serviette, le Cavalier prit quelques secondes pour se sécher après quoi il enfila des vêtements et permit à son élève de se retourner. Le général était vêtu de la même façon. Des bandes de cuir serraient ses bras. Une cuirasse marron de même matière protégeait son torse. Deux bracelets de fer bien brillants entouraient ses poignets. Un pantalon bleu dont la coupe arrivait à la hauteur des genoux et une ceinture lui suffisait pour se protéger du froid. Ses pieds prenaient l'air dans des sandales couleur caramel. Enfin, le tout était entouré d'une cape bleue cobalt aux bordures dorées et raffinées qui se mariait très bien avec la peau mat de Naël. La touche finale consistait à piquer deux de ses Chromacristaux à sa ceinture et à faire du dernier une broche qui permettait à la cape de tenir sur ses épaules. Cela dit, aux yeux de Lancio, il manquait quelque chose :
« Où sont tes épées ? remarqua-t-il.
-Mes épées ? Elles sont sous le lit, rassura le Cavalier. Je ne m'en sépare que pour manger et dormir… Et en parlant de manger, tu veux rester ici à l'auberge pour le repas du midi ou on va dans une taverne ou autre chose ?
-Je ne sais pas, hésitait le jeune. Et si nous allions simplement chez Rita ? Elle avait demandé de lui rendre visite.
-Oui, c’est vrai, se souvint le général. J'ai failli oublier. Et bien, faisons comme tu dis… Vas déjà saluer l’aubergiste en bas et prépare-toi. Je me pare de mes armes et on pourra y aller. »
Lancio s’exécuta. Au passage, il happa sa créature qui était sur le point de s’endormir à nouveau. Il sortit de la chambre du général, entra dans la sienne et prit son sac après avoir soigneusement rangé les livres dedans. Puis, toujours en tenant sa créature par la main, il descendit les marches de l’escalier deux à deux. Comme convenu, il salua l’aubergiste qui lui rendit un ‘’Bonjour’’ par un signe de la tête. Ensuite, le jeune garçon s’installa dans la salle à manger de la bâtisse bien illuminée, comme tous les matins et se mit à attendre. Pendant ce temps, il contemplait le paysage de dehors. De loin, il voyait marcher des citadins avec des têtes étranges. Certains avaient l'air étonnés, d'autres semblaient complètement désorientés. De même, des sorciers accouraient de plus en plus nombreux dans les rues. Quelque chose n'allait pas…
Hahahahahaha. Bien sûr que quelque chose n'allait pas. Ce ne serait pas amusant si tout allait bien. Il faut se battre pour le repos ! Hahahahaha. Mais il n'empêche, étant connaisseur en étrangetés, voir des gens agir de façon commune au même moment peut-être placé sur l'échelon 3 d’une échelle de la bizarrerie dont le maximum serait 10. Hahahahahaha. Enfin soit, ‘’Qu'est-ce qu'il se trame ?’’ pourrait être une bonne question… Hahahahaha…
Naël ne fit pas attendre son élève bien longtemps. Il descendit rapidement l'escalier, salua l'aubergiste et alla à le rencontre de Lancio. Le garçon montra au général ce qu'il se passait dehors. Intrigués, tous deux sortirent de l'auberge et s'approchèrent des rues. Les citoyens parlaient entre eux en multipliant les expressions d'étonnement sur leurs visages et dans leurs paroles. Nathanaël s'approcha d'un passant un peu à l'écart pour le questionner :
« Bonjour, monsieur, commença par souhaiter le général. Pourriez-vous me donner la raison d'une telle agitation dans ces rues ?
-Vous n'êtes pas au courant ? répondit l'interrogé stupéfait de la question.
-Au courant de quoi ? continua Naël.
-Pendant la nuit, des partisans du Mal ont dessiné pas moins de cinq marques de magie noire… Des pentagrammes… ou appeler ça comme vous voulez, expliqua le citadin. La foule a donc commencé à paniquer. Des magiciens se sont précipité dans les rues et les gardes de la cité ont appelé les Inquisiteurs d'Ormia à la rescousse.
-Tout ça ! cria le général et son élève en chœur.
-Mais ce n'est pas tout ! surenchérit l'informateur. Selon des témoins, les criminels étaient au nombre de quatre. Il y aurait un type en armure, un autre maigre avec une robe, un grand costaud avec une cape et un enfant. Les témoins disent qu'hier pendant la nuit, il y a eu une altercation. Le grand costaud a commencé à attaquer l'homme avec l'armure. Et cet homme a fui juste après l'attaque. Sûrement un règlement de compte. Mais bon… J'ai un conseil à vous donner : Partez !
-Merci pour tout Monseigneur, remercia le général en riant jaune. »
Naël fouilla dans sa poche et sortit deux ou trois Rutereos qu'il tendit à son interlocuteur. L'homme les accepta avec joie. Ensuite, le duo suivi de la créature aux yeux changeants se replongèrent dans la foule et discutèrent en marchant :
« Drôle d'histoire… grinça le général. Le pire c'est qu'on a été vus et déclarés pseudo-complices… J'espère que les sorciers de cette ville et les Inquisiteurs d'Ormia mettront cette affaire au clair. Le Cavalier Noir doit cesser ses méfaits.
-Qui sont les Inquisiteurs d'Ormia ? questionna Lancio.
-Ils sont les représentants de la justice dans la région d’Origue et même dans d'autres régions en fonction des affaires internes et externes et de leur gravité. Ormia est d'ailleurs la capitale d'Origue et elle est pile au centre de la région. Cette province est la seule qui ne compte aucune défaite militaire à son actif. J'ai déjà eu l'occasion de diriger une partie de l'armée d'Ormia. Ce fut une extraordinaire expérience. Notre belle capitale est aussi au centre des mythes d'Origue. Mais tout n'est qu'une longue histoire…
-Et…, posa le garçon, comment se fait-il qu'ils sont en ville, ces Inquisiteurs ?
-Voilà une question dont j'ignore la réponse, avoua Naël. Je pense que c'est en raison de ce que nous a révélé le passant. Tu me demanderas pourquoi ne sont-ils pas venus plus tôt. Je te répondrai que les Inquisiteurs étaient au courant de la situation de Classifika mais ont laissé ces affaires de meurtres aux forces de justice locales. Ce n'est que lorsque des actes de sorcellerie maléfique sont déclarés en même temps de meurtres commis de manière étrange que l'Inquisition vient mener enquête… C'est en fait, une organisation connue mais secrète et dure d'accès. Il n'empêche, je n'aimerais pas me trouver sur leur chemin… En fait, je pense que c'est trop tard, ajouta Naël en pointant discrètement deux hommes en armures étincelantes . Ils nous ont trouvés. Retourne-toi et fais comme si tu ne les avais pas vus.
-On fait quoi maintenant ? chuchota Lancio.
-Ils sont à la recherche d'un homme avec une cape accompagné d'un enfant… En gros, ils nous recherchent. Laisse-moi te dire que s'ils mettent la main sur nous, ça pourrait être douloureux, affirma le général.
-Tu ne peux pas aller leur parler sous ton titre de Cavalier de l'Ordre ? interrogea le jeune dresseur.
-C'est une éventualité, en effet, réfléchit Nathanaël. Mais l'Inquisition ne fait pas passer ce titre avant la justice. Mais je t'expliquerai ça plus tard. Pour l'instant, faisons un tour de la ville. Comme ces Inquisiteurs bloquent l'accès le plus rapide à Rita, on aura du mal à la rejoindre par cette rue. »
Le groupe emprunta des chemins tortueux peu populaires mais assez dégagés. Ces coins sombres et sales étaient réservés aux habitants les plus pauvres de Classifika. Par ailleurs, peu de citoyens vivaient dans ces ruelles. La majorité d'entre eux s'enrichissait avec les commerces et les affaires politiques de la cité. Peu de gens entravaient le bon déroulement de la prospérité de la ville. Classifika ne cessait de fleurir de ses richesses. Ce qui ne s'assimilait pas à ces conditions se trouvait mis de côté, en retrait. Personne n'était dérangé par cette répartition un peu injuste. Seuls les étrangers qui visitaient la ville prenaient peine pour les exclus. Exclus qui n'en avaient strictement rien à faire et qui vivaient dans le bonheur malgré tout.
Hahahaha. J'ai toujours eu Classifika haut dans mon estime ! Jamais de déception. Toujours richesse… Mais je ne parle pas des efforts que doivent fournir tous les habitants de la ville ! Hahahahahaha. Une tâche relativement infernale que de rendre la cité prospère. Cela dit, beaucoup de villes d'Origue sont riches et tranquilles… Ces temps sont révolus dorénavant ! Hahahahaha.
Lancio n'appréciait pas vraiment les routes qu'il foulait. Il avait l'impression de marcher dans un labyrinthe étroit et apeurant. Sa créature, de son côté, appréciait toutes ces balades. Elle aimait visiter tous les recoins de la ville et semblait vraiment satisfaite de ce qu'elle voyait. Naël, lui, n'éprouvait pas grand-chose pour Classifika et ses trésors. La richesse ne l'intéressait pas vraiment. Il trouvait dommage que tous les citoyens se concentraient sur l'argent ou les affaires générales de la région. Le Cavalier Acier préférait les peuples de sa propre nation. Il les trouvait emplis de sagesse et de déférence voire d'humilité. Il repoussait les cités comme Classifika parce que même si elles étaient humbles, la richesse les rattrapait toujours et l'orgueil suivait. Par ailleurs, Naël savourait le fait de gambader dans les rues les plus démunies de la cité. Elles lui rappelaient sa contrée d'origine, l'Origue orientale. Il ne cacha pas ce mal du pays à son élève :
« J'ai toujours aimé ces rues, prononça le général. Les gens qui y habitent me rappellent ma patrie en Orient.
-Ah ! Je vois…, réagit Lancio un peu dissipé et tracassé de marcher dans une flaque de boue.
-Si tu veux, je t'emmènerai visiter mon pays. Tout est tellement beau là-bas ! s'exclama le général.
-Oh oui alors ! Avec plaisir ! se réjouit le jeune apprenti. »
La créature du garçon souriait. Elle semblait intéressée par les dires du général. Après tout, son passé était inexistant. Il fallait lui créer un présent pour son avenir. Et ces temps arrivèrent tôt puisque après avoir emprunté plusieurs suites de ruelles, Lancio, sa créature et Nathanaël parvinrent aux parvis de la tente de Rita. Le général poussa le voile d'entrée et pénétra dans l'habitation mystique. Le jeune garçon et sa créature suivirent. La gitane se trouvait assise au milieu de la pièce. Elle regardait ses visiteurs avec deux grands yeux surpris. Elle se leva, les joues gonflées par la nourriture qu'elle avait entamée et tapa du pied. Elle commença à parler la bouche pleine. Voyant ses visiteurs commencer à rire, la gitane se calma, mâcha et avala les aliments. Elle se fâcha :
« Vous auriez pu demander le permission d'entrer à la place de violer la vie privée des gens ainsi.
-Je ne l'ai jamais fait et ce n'est pas aujourd'hui que je m'y mettrai, répondit le général en riant.
-Diable ! insulta Rita. Je vais t'arracher les yeux ! Je te hais Naël ! Viens ici ! »
Comme un jeune enfant, le Cavalier Acier commença à courir dans la tente pour exaspérer la sorcière. À la vue du visage de celle-ci, l'énervement lui montait à la tête. Elle s'adressa à Lancio :
« Il est comme ça avec toi ?
-Seulement quand il est saoul et encore… Je ne connais pas son plein potentiel , répondit le jeune en perdant le sérieux.
-Ah je vois…, se contenta la gitane sans conviction. Ça suffit ! cria-t-elle à Naël. »
Le forgeron apeuré s'arrêta net. La sorcière vint à ses côtés et lui donna une tape derrière la tête :
« Pauvre fou ! s'offusqua-t-elle. Il n'y a vraiment que toi pour danser tout en sachant que nous sommes le dernier jour de vie de cette ville.
-N'exagère pas, se calma Nathanaël. C'est vrai que la situation devient critique mais…
-Non ! interrompit Rita. La situation est critique ! Des signes inquiétants me sont parvenus… La ville va être détruite aujourd'hui.
-Mais, mais… mais comment ? bondit Lancio.
-Je l'ignore. Mais tout va se passer aujourd'hui. Les signes parlent d'eux-mêmes. Je reviens, se précipita la gitane en partant dans une autre pièce. »
Rita ne prit pas beaucoup de temps à retrouver les preuves énoncées. Lorsqu'elle revint, elle avait trois tasses dont les poignées entouraient trois des doigts de la main gauche de la sorcière. La main droite tenait une aiguille reliée à une ficelle et une boule de cristal. Rita prit la parole :
« Voilà ! commença-t-elle en déposant tous les objets sur sa table. Devant vous se trouvent trois tasses dans lesquelles ont été infusées dans de l'eau bouillante des feuilles mortes récoltées pas plus tard que hier. Voyez leur disposition… »
Lancio, sa créature et Nathanaël s'approchèrent pour observer. Ne voyant rien de flagrant, le jeune garçon commenta :
« Je ne vois pas ce qui cloche…
-Ah bon ? s'étonna la gitane. Tu ne vois vraiment rien ? Serais-tu fatigué Lancio ?
-Non, je ne pense pas, répondit le jeune un peu embarrassé.
-Ne vois-tu pas que les formes des infusions des trois tasses sont les mêmes ?
-Si mais c'est toi qui les a disposées ainsi, sua le jeune.
-Pas le moins du monde, se désola Rita. »
En effet, devant eux, au fond des tasses se dessinaient avec une boue noirâtre une espèce de motif représentant des flammes maigres et étouffées mais pourtant vivaces voire violentes. Pendant que Lancio et sa créature réfléchissaient quant à la signification de ce symbole, Rita, sous le regard de Naël, déposa sa boule de cristal sur un socle doré et raffiné. Elle se para de l'aiguille au bout du fil, se perça le doigt et entoura la pointe de l'aiguille par une goutte de sang. Ensuite, elle commença à faire tourner la pointe au-dessus de sa main droite en tenant le fil par la main gauche. Lorsque l'aiguille finit de tourner, elle se balança non pas d'avant en arrière ou de gauche à droit par rapport à la main mais en oblique. Rita commença son explication :
« Les dessins dans les tasses représentent le Feu des Ombres. C'est une flamme petite et pauvre mais ravageuse et dévorante. Ce symbole est très connu par les mages qui ont participé à la guerre contre l'Armée des Ombres que Naël et moi t'avions résumé. Donc, ce feu est la représentation de la destruction et certains chefs de l'Armée des Ombres s'étaient approprié ce signe. Le Cavalier Noir était le premier à s'en arborer. Les feuilles mortes infusées étant donné qu'elles sont originaires de Classifika sont directement en lien avec la ville et son destin. Elles ont parlé. Maintenant, passons à l'aiguille. Cette technique est généralement utilisée pour savoir le sexe d'un individu lorsque celui-ci est encore dans le ventre de sa mère. Cela dit, lorsqu'on plonge la pointe de l'aiguille dans le sang de quelqu'un, on peut prédire la précarité de sa vie. En gros, c’est pour connaître les probabilités pour qu'un être meure. Lorsque l'aiguille se balance de haut en bas ou de gauche à droite, l'être a des probabilités de vivre plus longtemps. Dans le cas des obliques, il faut envisager une mort prochaine. Ce n'est pas tout. »
Lancio et Naël restaient sans bruit. La créature aux yeux changeants semblaient vraiment poussée par un intérêt envers les techniques de la sorcière. Rita toucha de son doigt la boule de cristal. À l'intérieur commençait à se propager une fumée grise en partant du milieu de la sphère. Ensuite, la gitane écarta ses bras puis rassembla ses mains pour les faire tourner autour de la boule. La fumée paraissait changer. Du gris, elle passa par le bleu puis le rouge et enfin le noir avant de se dissiper :
« Voici, ces couleurs ne sont pas des plus confortables, fit remarquer la sorcière. Le bleu représente le luxe et l'aisance. Le rouge bien qu'il aurait pu représenter l'amour parle de guerres et de sang. Le noir… Je ne vous ferai pas de dessin… »
Laissant ses invités aux méditations, Rita alla ranger ses affaires. Elle n'avait plus beaucoup le sourire. Lorsqu'elle revint, elle parla au général :
« Nathanaël, j'espère que tu ne doutes pas de ma magie…
-Pas le moins du monde, répondit le Cavalier Acier encore stupéfait. J'ai pu voir les effets de la magie et je serai idiot de dire que ça n'existe pas.
-Alors, je n''ai juste qu'une seule requête, posa la bohémienne. Protège la ville. En tout cas, protège surtout les citoyens. J'ai vu en un matin au moins cinquante personnes fuir Classifika. J'ai peur. Tout le monde dans cette cité est en danger…
-Je te promets d’accomplir mon devoir ! clama le général en s'étant levé violemment de sa chaise.
-Merci ! finit simplement par dire la gitane. »
Nathanaël se rassit ensuite. Il voyait la future bataille de Classifika dans son esprit. Il voyait des ravages, une ville en feu, des lumières sinistres et des cris perçants. Il voyait la Guerre et la Mort tous deux réunis dans un espace clos pour semer la désolation dans la ville et en faire un exemple aux yeux des autres. Lancio interrompit les prémonitions du général en lui demandant :
« On ne devrait pas dire à Rita ce qu'il s'est produit avec le cadavre la nuit où on a rencontré le Cavalier ?
-Oui, tu as raison, répondit Naël. »
Le Cavalier Acier se tourna vers Rita :
« On avait oublié de te parler de notre expédition à la morgue…
-Ah oui ! se souvint la gitane. Alors ? Qu'est-ce que ça a donné ?
-Qu'est-ce que ça a donné ? répéta le général. Oh… Et bien, Lancio a déboulé dans la rue en suant comme un Tauros parce qu'un mort l’a élevé dans les airs en l'attrapant par la gorge. C'est tout. Rien de spécial, ricana Nathanaël ironiquement.
-Les temps ne sont pas à la rigolade, général ! s'indigna Rita. Lancio ? Dis-moi ce que tu as vu là-bas.
-Très bien, inspira le garçon. Donc, comme tu nous l'avais demandé, nous sommes allés à la morgue. C'est un endroit très sinistre. Même ma créature ne s'y sentait pas à l'aise. Enfin soit, nous avons commencé par repérer les corps brûlés et à les placer sur la table d'examen. Après quelques… dégoûtantes incisions voire découpages nous avons pu observer qu'à la place du cœur dansait une petite flamme violette captivante avec laquelle nous avons un peu joué pour sûr. Elle était bouillante et les doigts brûlaient à son toucher. Alors…
-Le Flamme des Ombres…, murmura Rita en écarquillant les yeux.
-Que se passe-t-il ? demanda Lancio.
-Combien de cadavres ont été brûlés par le Cavalier ? questionna la bohémienne sur un ton nerveux.
-Mais pourquoi… ? continua Lancio décontenancé.
-Combien ? répéta la gitane en train de s'impatienter.
-Je pense qu'il devait y avoir déjà une vingtaine de morts lorsque je suis venu, calcula Naël. Puis cinq jusqu'à l'arrivée de Lancio pour terminer sur deux. Donc, on aurait à ce jour environ trente morts sans oublier Mitraque mais elle n'a pas été brûlée.
-Trente ? s'étonna Rita en commençant à désespérer.
-Quelque chose ne va pas ? demanda Naël.
-Mais tu es ignorant ou quoi ? se fâcha la sorcière. J'ai l'impression que tu n'as jamais mené une guerre contre une Armée des Ombres.
-Qu'est-ce qui te prend ? s'offusqua le Cavalier Acier. Tu ne vas pas bien ou quoi...
-Son armée ! cria Rita.
-Elle a été scellée dans les fins fonds des entrailles de la terre à tout jamais !
-Pas celle-là ! Il est en train d'en établir une nouvelle ! »
Cette constatation fit silence dans toute la pièce. Nathanaël, les yeux grands ouverts, se couvrit de honte lorsqu’il entendit la sorcière prononcer le verdict. Tout paraissait évident même pour un enfant tandis qu'un ancien général qui avait participé à la démolition d'une institution obscure ne pouvait même pas s'imaginer une telle machination.
Hahahahaha. Général incompétent ! Hahahaha… Oh, je ris. Vous ne l'aviez pas vu ? Si ? Aviez-vous deviné les plans du Cavalier Noir ? Hahahahaha. Vous êtes bizarres mais vous atteignez des sommets dans mon estime. En tout cas, vous n'êtes pas au bout de vos surprises. Hahahaha…
« Diablerie ! cria Nathanaël. Lâcheté ! Sorcellerie !
-On se calme…, souffla Rita.
-Je ne vois pas le problème, dit Lancio. D'accord, le Cavalier Noir ressuscite des morts mais ils ne sont que trente et leur vulnérabilité n'échappe à personne.
-Là, il a raison, appuya le général. On peut s'en débarrasser aisément.
-Ne sous-estime pas l'ennemi, veux-tu ? posa la gitane. J'ai peur que ça ne soit plus gros que ça. Il ne faut pas oublier qu'Ikaïn, son valet, a des connaissances qui peuvent l'aider.
-Mais autant de renforts ne viendrait pas pour envahir Classifika, si ? demanda Naël.
-Je te le rappelle, nous sommes censés être en paix. Une attaque générale pour conquérir une ville serait tout à fait surprenante et imprévisible, expliqua la Sorcière. La ville visée tomberait facilement entre les mains de l'ennemi. »
Dehors, une cloche tinta douze coups. L'heure du repas se faisait sentir dans les ventres gargouillant. Dans les rues, les citoyens continuaient leurs marches et se rendaient en nombre dans des tavernes. Dans un coin de pelouse, des créatures volantes picoraient de maigres morceaux de pain lancés par la main tremblante d'une vieille dame. Des Rattata cherchaient en groupe de quoi se sustenter. Sous la tente de Rita, les estomacs chantaient et criaient famine. Lancio sentait des effluves aillées lui parvenir de l'extérieur. La délicieuse odeur se propagea dans toute la pièce si bien qu'on entendait même la panse de la sorcière hurler à la mort. Elle se leva :
« Bon, je vais préparer à manger. Vous êtes mes invités. Vous ne serez pas déçus. Je vais vous élaborer un repas digne de ce nom. En attendant, allez faire un tour. Je n'aime pas quand on m’épie alors que je cuisine. Allez ! Oust ! »
Les trois invités furent poussés à l'extérieur de la maison de leur hôtesse. Ils se regardèrent tous trois pour s'en aller ensuite et errer dans les rues désertées à cause de la faim.
Hahahaha… Je ris. Rita a le don de recevoir des invités ! Hahahaha… C'est merveilleux ! Épique ! Splendide ! Même les gobelins savent mieux accueillir. Hahahaha… Ah ! Et si on faisait un tour du côté du Cavalier Noir ? Hahahaha…
La hâte ! Rien ne décrivait mieux l'état dans lequel se trouvaient les partisans du Cavalier Noir. La première phase de son plan, bien que légèrement compromise, était bientôt remplie. Deux des trois personnes attendues venaient d'arriver. La dernière s'approchait à grands pas. Ikaïn, de son côté, s'était retiré pour se reposer de la nuit mouvementée qu'il avait vécue. Sa puissance magique et toute son énergie avaient été épuisées. Malheureusement, sa mission ne verrait pas le terme avant ce soir. Dans la grotte obscure, le Cavalier discourait avec ses invités :
« Votre venue ici reflète votre réputation. Nous vous sommes reconnaissants pour les moyens que vous nous offrez, notamment vos Trioxhydre, commença-t-il de sa voix rauque. Vous serez récompensés pour avoir honorer votre contrat avec nous.
-Nous vivons cette situation au-delà du simple contrat, éleva le sourire. Nous sommes directement liés à vous, Monseigneur.
-Tout à fait, approuva une beauté trompeuse. Pour ma part, le règne que vous m'avez confié m'enchaîne à vous et même si on devait me le retirer, la chaîne ne se briserait pas. Merci à vous, Monseigneur. Et puis, prenez mon offre de Trioxhydre en gage de fidélité. »
Le Cavalier était satisfait. Son valet ne lui avait pas menti. Ses invités suintaient de fidélité pour les ténèbres. Aussi et en tous cas, chacun d'entre eux attendait la même chose. Une chose encore floue. Une chose encore obscure… Un long sourire serti de yeux de diamant et une beauté embrumée par la maigreur se tenaient devant la révélation prochaine. Aucun ne pouvait retenir des gloussements de rire sinistres à l'approche de la phase principale de leur projet. Ces moqueries s'amplifiaient lorsque l'un des invités croisaient le regard avec celui du cadavre choisi par le Sorcier Sans Visage. Le Cavalier, lui, attendait impatiemment quelque chose. Il surveillait la porte de la pièce avec une telle obstination que la beauté maigre le lui fit remarquer :
« Quelque chose ne va pas ? lui dit-elle.
-… »
Le Cavalier ne répondit pas. Le sourire ayant compris la situation, demanda à sa sœur de se taire. La belle, un peu déçue, s'en alla observer le décor du lieu. Il n'y avait rien de spécial. Des stalactites pendaient du plafond et des stalagmites se dressaient sur le sol. De la roche noire faisait les murs. La seule porte servant d'entrée et de sortie pesait lourd à cause de la grande quantité d'améthystes avec lesquelles elle avait été conçue. Les sièges se résumaient à de longues et larges plaques rocheuses assemblés autour d'une table basse en joyaux noirs. Les murs étaient couverts d'inscriptions. La beauté maigre tenta de les déchiffrer quand soudain, le bruit de frappe à la porte résonna dans les lieux. Un éclat rouge perça la visière du Cavalier. Ses invités sourirent de plus belle. Ils se levèrent, sans plus de préparation, allèrent ouvrir la porte pour partir et emmener avec eux le dernier invité, celui donc le corps était ravagé par la maladie et les Insectes.
Hahahahahaha. Voici ! Il n'en est pas plus douce fin pour la ville ! Oh je ris ! Hahahahahaha. Et puis, tous ces fous… On n'est pas sortis de l'auberge. Hahahahaha… Allez, revenons à Lancio.
Les ventres ne voulaient plus se taire. Celui de Naël chantait dans les graves tandis que celui de Lancio préférait les aigus. À deux, ils composaient une harmonie de gargouillis. Cela dit, ils ne se sentaient pas dans la meilleure des formes pour apprécier cette mélodie stomacale. Les nouvelles du jour ne semblaient pas leur convenir. Même la créature aux yeux changeants avait une mine déconfite. Par contre, son estomac se tenait bien contrairement à son dresseur et au général. Il fallait dorénavant agir. Nathanaël parla :
« Lancio, je suis désolé de t’avoir embarqué dans tout ça. Je…
-Ne t'inquiète pas, souffla calmement le garçon tête baissée. Je suis seul maintenant. J'ai tout perdu. Ma famille, mes amis, et… ma vie. Mais ! appuya-t-il en relevant la tête. Tu es venu tout comme cette créature. Vous m'avez entouré comme si j'étais quelqu'un que vous connaissiez depuis longtemps. Nous avons vite vu que ça n'était pas le cas mais je ne m'en plaindrai pas. Au contraire, je suis fier d'avoir appris à te connaître tout comme mon compagnon. Alors, c'est vrai, les péripéties sont les péripéties. Nous voici à la première bataille d'une grande guerre. Mais qu'importe… Quitte à y perdre la vie, autant le faire bien. Quitte à la reconstruire, autant le faire avec vous deux, finit par sourire le garçon en regardant le général. »
Nathanaël ne put conserver une larme. Lancio vit cette petite faiblesse de la part de son ami et lui dit :
« Tu pleures ?
-Hein ? Euh, non… J'ai une poussière dans l'œil, mentit le Cavalier Acier. »
Le jeune garçon ricana puis partit dans un fou rire. Naël le rejoignit. Le général était un très mauvais menteur.
« Naël ! Lancio ! cria une voix à travers toute la ville. C'est prêt !
-Déjà ! s'étonna le général. Allez, viens Lancio. Rita nous a appelé. »
Ils accoururent pour aller retrouver la sorcière et enfin pouvoir manger. Leur faim était telle qu'ils déchirèrent presque le voile d'accueil de la tente en entrant. Au milieu de la pièce reposaient sur une table des morceaux de pain coupés grossièrement assemblés en cercle autour d'un petit chaudron rempli de fèves engluées par une substance brunâtre. Un œuf assez gros pour être mangé par trois personnes tenait sur un socle doré. Quelques baies et légumes avaient pris place dans un panier d'osier déposé au coin de la table. Et pour les créatures de chacun, Rita avait préparé un repas semblable à la seule différence que les fruits étaient plus nombreux. La gitane expliqua :
« Alors, ici, vous avez des fèves caramélisées au miel avec du pain frais, commença-t-elle en pointant la marmite. Et ça, c'est un œuf de Florizarre à la coque et aromatisé au thym. Il est énorme et visqueux, je vous l'accorde mais il est réellement délicieux. Et si vous voulez des baies, elles sont là, finit-elle en pointant le panier. Servez-vous ! »
L'aspect raffiné du repas rebutait Lancio. Son appétit le portait plutôt vers un bon bouillon aux légumes bien chauds. Il demanda simplement de l'eau chaude salée pour y plonger quelques légumes et les faire ramollir afin de satisfaire sa faim. Le général, quant à lui, ne savait plus attendre. Il lâcha un ‘’Bon appétit !’’ et commença par arracher un morceau de pain dans lequel il mit les fèves au miel pour ensuite le tremper généreusement dans l'œuf au thym. Un gémissement de satisfaction s'échappa de la bouche du forgeron lorsqu'il mordit dans son repas. La sorcière agacée par l'attitude de Nathanaël se contenta d'étaler des baies sur une tranche de pain qu'elle décora de sa préparation sucrée. La tente se taisait sous la dégustation. Aucun bruit ne s’échappait sinon les innombrables claquements de mâchoire dont la fréquence rapide indiquait l'état affamé dans lequel se trouvait les mangeurs. La créature aux yeux changeants ne mangea que quelques baies avant de rejoindre son dresseur à table et voler une cuillère de fèves au miel. Elle se permit de briser le silence en poussant un cri :
« Il a de la voix, s'écria Rita. En tout cas, ça a l'air de lui plaire.
-Oui, je le pense aussi, répondit Lancio.
-Lancio, appela la sorcière, j'aurai quelque chose à te dire tout à l'heure…
-Ah oui ? réagit le général.
-En privé, ajouta la gitane.
-Surtout ne te gêne pas ! reprocha Naël.
-Et c'est un enfant dans un corps d'adulte qui me dit ça ! s'offusqua Rita. J'ai presque envie de te mettre dehors maintenant. »
Le Cavalier Acier sourit. Il aimait faire sortir la sorcière de ses gonds. Tout en mangeant, il la narguait de son air narquois. La gitane bouillonnait. Le jeune garçon et sa créature paraissaient vouloir calmer la situation. Dans la tente régnait une agréable atmosphère.
Hahahahahaha… L'histoire est vraiment passionnante… Non ? Hahahahaha. En plus, je sens qu'on va bien s'amuser. Hahahaha. Que va devenir Classifika ? Entre des entités maléfiques et des mangeurs de fèves au miel, les Classifistes sont sauvés ! Hahahahaha…
Le repas passa et glissa rapidement dans les estomacs des invités et de l'hôte. Comme promis, la sorcière appela Lancio à parler en privé et poussa Nathanaël et la créature aux yeux changeants dehors. Ces derniers allèrent faire un tour pendant la discussion du jeune avec la gitane. Rita attira son jeune invité nerveux au fond de la tente. Elle prit un siège et invita Lancio à faire de même. L'endroit n'avait pas changé. Au milieu, il y avait toujours l'Eau de Vérité contenue dans un bassin en marbre sur un pied de la même matière. Les reflets du liquide sur les tentures de la pièce étaient la seule source de lumière pour éclairer les alentours sombres du bassin. La gitane s'installa derrière l'Eau de Vérité et le garçon s'assit à l'opposé. Elle commença :
« J'ai beaucoup de questions à te poser, Lancio… D'abord, pourquoi as-tu souvent menti ? Que caches-tu ? »
Lancio pris au dépourvu et craignant le liquide de révélation juste en face de lui répondit :
« Je… Je… Je ne sais pas…
-Ce n'est pas une réponse, fit remarquer calmement Rita. Est-ce que tu as envie que je sois au courant de quelque chose ?
-Oui, bien sûr… mais…
-Mais tu n'arrives pas à l'expliquer. C'est ça ? coupa la gitane.
-Euh… oui, répondit timidement Lancio en baissant les yeux.
-D'accord. Crache dans le bassin devant toi, demanda la sorcière. Je ne regarderai que ce qui nous intéresse. »
Lancio s'éxécuta. Il lâcha un fil de salive dans l'Eau de Vérité et la sorcière commença sa séance de lecture :
« Je vais donc voir ton passé à partir du moment où je t'ai rencontré à Classifika, précisa Rita. »
Elle plongea sa main dans l'Eau de Vérité et remua. Amusée, elle contemplait ce que Lancio avait vécu après sa rencontre avec la bohémienne. Elle changea de visage lorsqu'elle vit le premier cadavre brûlé qu'avait rencontré Lancio quelques jours auparavant. Ensuite, Rita tira une grimace affreuse lorsqu'elle regardait le jeune garçon en train de mener son enquête dans la chambre de Mitraque. Enquête qui a dû cesser à l'arrivée d'Ikaïn, le Sorcier Sans Visage. La gitane nota que le garçon avait trouvé un livre durant la fouille. Ensuite, l'Eau de Vérité dévoila le lieu de rencontre et la discussion entre Lancio et le Sorcier Sans Visage. Rita ouvrit la bouche et laissa s'échapper un cri de surprise lorsqu'elle vit Ikaïn tendre le livre de la chambre de Mitraque à Lancio. Elle trempa son doigt dans l'eau et arrêta ainsi le défilé d'images :
« Ce livre ! Ce n'est pas possible ! s'écria-t-elle. Lancio ! L'aurais-tu encore en ta possession ? »
Inquiet du ton avec lequel la question était posée, le jeune répondit :
« Euh oui. Il est dans mon sac. Veux-tu jeter un coup d'œil ?
-Oui ! pressa la sorcière. »
Étonné de ces réactions, le garçon partit à la recherche du bouquin tant désiré pour le tendre ensuite à Rita quand il l'aurait trouvé. Une fois entre les mains, la sorcière observa la couverture de l'ouvrage. Un cuir rouge foncé entourait une masse de pages épaisses aux bords dorés. Il n'y avait rien sur la couverture. Le jeune dresseur l'avertit :
« Ce livre est vraiment très beau mais je ne suis pas parvenu à l'ouvrir. Comme si les pages étaient collées entre elles. Selon Ikaïn qui aurait réussi à les décoller, il n'y aurait pas une seule marque d'encre à l'intérieur. Le bouquin est vide…
-Ça ne m'étonne pas…, dit la bohémienne. Lancio, pourrais-tu me suivre s'il-te-plaît ?
-Oui bien sûr, acquiesça le concerné. »
Rita emmena son invité hors du fond de la tente et le fit asseoir dans la pièce principale. Ensuite, elle se dirigea vers ses armoires à livres et parchemins à la recherche d'un écrit qui éclaircirait le mystère tournant autour de l'ouvrage trouvé dans la chambre de Mitraque. Après quelques sérieuses fouilles, la sorcière retira des profondeurs d'un meuble un parchemin jauni par le temps et collant. Elle se hâta de se ranger au côté du jeune et ouvrit le rouleau. De nombreux dessins noircissaient la surface jaunâtre du parchemin. Il était difficile de savoir ce qu'ils représentaient et ce qu'ils cachaient. Rita expliqua :
« Ceci est une prophétie. Elle indiquerait un évènement qui n'a encore jamais pris lieu. Cela dit, elle est complètement indéchiffrable. Non-seulement les dessins sont trop nombreux mais ceux que l'ont peut discerner ne représente rien de connu sauf… Là, finit-elle par pointer du doigt. »
La gitane mit en évidence une scène isolée de toutes les autres. Elle était désignée par le croquis d'une forme humaine tenant un tome rouge dans la main gauche et un bâton dans la main droite. Le visage de la forme pouvait être discerné. En réalité, l'individu portait un masque aux motifs argentés serti de tissus délimités par des clochettes. Un long manteau rouge le vêtait. Dans la scène, ce personnage tendait son bâton vers la gauche du parchemin et son livre s’ouvrait par son milieu vers le haut en déchaînant une tornade ténébreuse. Une indication en-dessous disait en un vocabulaire simple : ‘’Il portait le fardeau du savoir dans la main gauche''.
Lancio ne savait plus quoi dire :
« Mais… Mais… Mais, bégaya-t-il. C'est…
-Le dieu des Ténèbres, souffla Rita. Tous les sorciers dignes de ce nom possèdent des parchemins semblables. Toujours, une partie demeure indéchiffrable. Toujours, il y a une scène isolée discernable qui met en action ce personnage avec différents artifices.
-Mais alors…
-Oui, tu as le livre du dieu des Ténèbres en ta possession.
-Comment vraiment le savoir ? questionna le jeune.
-Et bien, seuls les entités qui ont pactisé avec le dieu des Ténèbres comme Ikaïn, ou le dieu lui-même peuvent ouvrir ce livre. Les autres et en particulier les partisans de la Lumière ne peuvent rien faire à ce bouquin. Mais c'est plus compliqué. Les dieux qui ont été crées par le dieu Ténèbres pourraient aussi l'ouvrir mais étant donné qu'il n'en a conçu aucun, personne d'autre ne peut l'ouvrir. De même, le dieu choisit lui-même ce qui est révélé dans ce livre.
-Et, le tome n'a pas de nom ? posa Lancio.
-Personne ne le connaît vraiment. Rares sont ceux qui l'ont entendu, répondit Rita. On dit que le titre est maudit.
-Mais comment est-il arrivé entre les mains de Mitraque ? Est-ce qu'il est dangereux ? Devrais-je le garder ? bombarda de questions Lancio.
-Du calme, du calme, murmura Rita. D'abord, on ne connaît rien des croquis que je t'ai montré et je ne pense pas qu'on en sache plus sur ce livre. Cela dit, tu peux peut-être aller voir un de mes amis, un aventurier et un historien, le plus grand que je connaisse sûrement. Il s'appelle Tyraste. Tu devrais lui rendre visite. Sa maison et son esprit sont de véritables bibliothèques.
-Et où puis-je le trouver ? demanda le jeune.
-Il habite dans la partie centrale de la région, la ville de Nos dans la province de Varmasch mais parfois il se rend dans sa villa tout près du de Värm non loin d'ici, pour parler avec les marchands des ports. En tout cas, vas montrer ce bouquin à Tyraste. Il saura t'en dire plus. Et surtout, fais attention à ce que l'ouvrage ne tombe pas entre de mauvaises mains. Je ne te promettrais pas qu'Ikaïn te rendra ce livre aussi facilement la prochaine fois qu'il le tiendra. Je ne suis même pas sûre qu'il sache ce que représente ce tome même s'il est en mesure de l’ouvrir, prévint la gitane avant de continuer l'interrogatoire du garçon. Alors ? Tu veux continuer la séance ou tu es enfin décidé à me parler ? »
Après réflexion, Lancio fit comprendre qu'il parlerait. Avant tout, il sortit le livre sur les origines d'Origue qu'il avait trouvé à la bibliothèque de Classifika et le tendit à Rita. La sorcière commença à analyser l'objet :
« Je vois…, dit-elle en l'ouvrant et en lisant les lignes en diagonale. Oh oui ! C'est un écrit intéressant ! Il vient d'où ?
-Je l'ai… Je l'ai… volé à la bibliothèque de Classifika, répondit le jeune garçon empli de culpabilité.
-Lancio ! s'exclama la bohémienne. Tu ne peux pas tout dérober à n’importe qui comme tu le veux ! Halalala ! Ne commence pas à devenir un bandit comme Naël ! Qu’est-ce qu'on va faire maintenant ? Enfin soit, je continue ma lecture. On verra après… En attendant, tout ce qui est à moi est à toi. Ne vole rien. Contente-toi de consulter et de remettre à sa place, taquina la sorcière. »
Le jeune, rouge de honte, partit à la recherche de quelques parchemins faciles à lire. Il se dirigea vers une armoire carrée trouée par d'innombrables compartiments profonds remplis de rouleaux brun-jaune. Lancio en choisit un et l'ouvrit. Un plan de palais lui apparu. Le croquis était assez rudimentaire mais permettait tout de même de visualiser la chose. Les murs du palais semblaient être conçus à partir de coraux et ses remparts paraissaient comme des algues rudes. L'immense bâtiment s'élevait dans les cieux. Deux grandes portes entourées par deux immenses Hyporoi en un métal proche de l'or servaient d'entrée principale. La finesse du palais épousait le grandiose. Au pic se dressait une pièce ronde où l'on aurait pu recevoir des invités. Cependant, les couleurs manquaient. Les traits du dessin s'approchaient tous du noir. Une légère déception pour Lancio. Il prit un deuxième parchemin et l'ouvrit pour découvrir un texte écrit dans une langue qu'il ne connaissait pas. Il remit le rouleau là où il l'avait trouvé. Lorsque Lancio s'apprêta à en ouvrir un troisième, il entendit Rita pouffer de rire et puis partir dans un fou rire. Le garçon accourut dans la pièce où se trouvait la gitane. Celle-ci se calma et expliqua la situation à Lancio :
« Ce livre que tu m'as confié, commença-t-elle la bouche encore tremblante de rigolade, ce n'est pas vraiment ce que tu crois, reprit-elle plus sérieusement. En fait, il est une des copies du livre original que l'on nomme ‘’Origines d'Origue''. Le problème réside dans le fait qu'il ne relate pas vraiment les origines d'Origue ou celles du monde. Si, l'auteur s'est basé sur des vérités pour écrire ce bouquin comme l'Ordre des dix-huit Cavaliers, c'est indéniable. Mais le reste… Le reste est satirique. L'auteur se moque de la religion dedans. Il critique la société qui l'entoure. Ainsi, l’écrit doit donc dater d'une époque lointaine où la religion était maîtresse. Sûrement juste un peu après la fin de la guerre contre l'Armée des Ombres. Une période où la religion tournait dans beaucoup de cœurs… Jusqu'à ce que les dieux nous abandonnent. De la déception disait-on. La déception les aurait poussé à se replier. Enfin soit, au vue du style d'écriture, l'auteur avait appris à bien tracer les lettres. Selon moi, il devait être un disciple écrivain d'un dieu. Mais lequel ? Je n'en sais rien. Peut-être le dieu des Ténèbres, finit par plaisanter Rita.
-Est-ce que c'est à cause de ce repli que Nathanaël déteste les dieux ? demanda Lancio.
-Entre autre, oui, répondit la gitane. Il les connaît. Il les a déjà vus. Mais il ne peut retenir une larme de colère en les regardant. Je pense que… »
Soudain, une déflagration venant de dehors vint interrompre Rita qui se leva d'un bond. Lancio sursauta. Ils entendaient les citadins crier et se presser dans les rues. Naël passa brutalement sa tête sous la tente :
« Tu avais raison Rita ! Le Cavalier Noir commence une attaque générale contre la ville ! cria le général. »
La créature aux yeux changeants vint se réfugier auprès de son dresseur dans la tente. Ses iris se coloraient d'un vert bizarre un peu apeurant. Lancio le prit entre ses bras et le consola rapidement après quoi, ils sortirent tous de la tente pour admirer un spectacle affreux qui restera dans la mémoire à jamais. Déjà, des gens brûlaient et couraient en feu dans les rues. Déjà, des créatures diaboliques déchiquetaient des citadins cuits. Déjà s'élevait sur le toit de la citadelle des Seigneurs un être noir portant devant lui une armure rouge pourpre…
Hahahahahaha… Avec tout ça, j'ai des brûlures d'estomac ! Hahahahahahaha… Vous êtes tellement fatigués que j'ai pitié de vous ! Allez ! Partez d'ici avant que la torture vienne à vous ! Hahahahaha. Et n'oubliez pas de revenir la prochaine fois ! Vous ne le regretterez pas. Hahahahahahaha….