Partie 3 : Le Tour des Îles
Chapitre 38 : Home sweet home
«Parrain ! m'exclamé-je en me précipitant vers lui.
— Ma petite Liv' !» s'écrie ce dernier.
Après l'atterrissage, j'ai été la première à descendre de l'avion. J'ai été la première à me précipiter vers le point de récupération des bagages, et à ramasser ma valise, sur le petit tapis roulant. Et, j'ai été la première des passagers du vol AirKalos 513 à sortir de la zone de contrôles. À être officiellement à Alola, de retour à la maison. Les larmes ne sont pas loin ; mais elles ont déjà trop coulé au moment des adieux, et pour ces retrouvailles, je ne tiens pas à ressembler à un pauvre Okéoké en manque d'affection. Je suis chez moi. Je suis heureuse. Caleb, Kaitlyn, et Tonton sortent de ma tête l'espace de quelques minutes, dès que je revois Parrain, mon Parrain ; son éternelle blouse blanche, son éternel sourire, son éternel air relax.
Ivre de joie, je me jette dans ses bras, oubliant la catastrophe qu'il a vécue hier, et qui m'a faite revenir, si fort qu'il en tombe presque à la renverse.
«Oh là ! Tranquiiiiiiille, Liv' ! Je vais pas m'envoler !
— Je sais. Mais tu as failli brûler, répliqué-je, inquiète à propos de son état.
— Oh, t'en fais pas pour ça ! C'était qu'un petit feu d'artifice, ah ah !»
Je fronce les sourcils ; il a beau affirmer ça pour me rassurer, je ne suis pas dupe. Ce n'était pas juste un feu d'artifice. Au cours de mon année à Kalos, il s'est passé bien trop d'événements terribles dans ma région natale, pour que celui de la veille soit une coïncidence. Mais, alors... pourquoi ?
Néanmoins, je n'ai pas le temps de me poser la question bien longtemps, car une autre survient dans mon esprit. Elle sort toute seule, avant même que j'ai le temps d'y penser. Et pour cause.
«Mais... attends deux secondes, commencé-je, avant de reprendre, à toute vitesse, paniquée. Si la maison a brûlé, tu étais dedans ? Comment ça s'est passé ? Tu n'as rien de cassé ? Et Pimprenelle ? Elle va bien ? Et les Pokémon des aquariums ? Et...»
Il pose un doigt sur ma bouche, pour m'arrêter, et me répond, toujours aussi décontracté.
«Liv', je t'ai dit que ce n'était rien. Relaaaaaaax ! C'était juste une capacité qui a mal tourné, pas la peine d'en faire tout un plat ! Mais..., fait-il soudain, en désignant la capsule à mes pieds, qu'est-ce que c'est que ça ?»
Je soupire, un sourire aux lèvres. Je n'arriverai pas à en savoir plus. Pour cette fois-ci. Vu qu'il fait tout pour changer de sujet, je décide de le croire. Peut-être qu'il dit vrai, après tout, je n'en sais rien. Je ne suis pas convaincue, mais j'ai aveuglément confiance en mon Parrain.
«Oh, ça ? C'est mon cadeau d'anniversaire ! Un Œuf ! expliqué-je fièrement en soulevant ce dernier.
— Hé bé, on peut dire qu'il t'a gâtée, ton oncle...»
Il reste quelques secondes le regard dans le vide, avant de reprendre.
«Bon, moi aussi, j'ai quelque chose pour toi ! On va retourner à la maison, enfin, à l'hôtel, et on voit là-bas, ça roule ?
— Vraiment ? Oui, bien sûr ! claironné-je.
— Super ! Alors, en route mauvaise troupe !
— Et en voiture, Arthur !» complété-je.
Je laisse donc sortir Coraya, qui prend position sur ma tête, après avoir salué chaleureusement Parrain, puis, nous sortons du hall des arrivées pour nous diriger vers le parking. Il met ma valise dans le coffre ; moins de deux minutes plus tard, nous roulons en plein cœur d'Ekaeka, en direction de l'hôtel.
C'est comme si je redécouvrais le paysage. La plage de sable fin, l'océan turquoise, le ciel qui se confond avec la teinte de la mer, les petites échoppes au bord de la route... C'est Alola, ma région ; Mele-Mele, mon île natale. Je contemple la ville, avec de grands yeux, comme si je la voyais pour la première fois. C'est fou, ce que c'est différent d'Illumis. Les deux cités sont aux antipodes l'une de l'autre. Pourtant, étrangement, elles gardent une certaine ressemblance, peut-être de par tous les souvenirs qui s'y rattachent. Ekaeka, mon enfance ; Illumis, le début de mon adolescence. C'est vrai, maintenant que j'y pense, j'ai presque treize ans. Et en y repensant, ça fait un an que j'aurais dû, ou que j'aurais pu commencer mon Tour des Îles. Maintenant que je suis rentrée, c'est sûrement ce que je vais faire, d'ailleurs. Au lieu d'un voyage à travers Kalos, je crapahuterai tout autour de ma région (presque) natale... en compagnie de mes deux meilleurs amis, bien sûr. Jamais je n'oublierai leur promesse, même si je dois les attendre des mois.
Pendant ce temps-là, Parrain me raconte joyeusement les aménagements qui ont transformé les îles, en mon absence.
«Rien qu'à Mele-Mele, les rénovations ont bien avancé ! Déjà, la municipalité a amélioré l'état des routes, pour faciliter le passage des Poké-Montures. Ensuite, y a plein de nouveaux trucs à faire ! Ils ont construit un Studio Photo, près du port ; tu devrais aller y faire un tour avec Coraya, ça serait chouette ! Et puis, pour éviter de devoir prendre le ferry ou Dracaufeu pour se déplacer d'île en île, ils ont créé une nouvelle activité. Le Surf Démenta, ils appellent ça comme ça.
— T'as déjà essayé ?» demandé-je.
Il délaisse la route du regard, pour me fixer, complètement stupéfié par ma question. Il éclate de rire en me répondant.
«Évidemment ! Tu me prends pour qui ? J'ai été le premier à surfer sur la vibe du succès !»
Il se re-concentre sur le chemin sinueux de la Route 2, alors que le parking de l'hôtel est à quelques mètres.
«Je t'apprendrai, si tu veux. En plus, la plage est juste derrière, alors ça va être tranquiiiiiiille ! Justement, on est arrivés, terminus, tout le monde descend !»
Il se gare, nous sortons du 4x4, récupérons ma valise, avant de nous diriger vers la porte surmontée du numéro cent douze. Même si nous ne faisons que quelques pas, je remarque que Parrain boîte légèrement ; il ne l'avouerait jamais, mais l'incendie l'aura malgré tout blessé, sans compter les éventuelles brûlures. Nous nous apprêtons à entrer, lorsqu'une jeune fille aux yeux verts nous ouvre, et s'exclame :
«Professeur ! Vous êtes de retour !»
Elle a l'air d'avoir mon âge. Sa robe d'un blanc aussi pur et cristallin que la neige lui arrive au-dessus du genou, alors que des bottes de la même couleur montent à mi-mollet. Ses cheveux blond platine tombent au milieu de son dos, et sont surmontées d'un chapeau à bord large. Enfin, elle porte un sac en forme de Poké-Ball en bandoulière, ce qui contraste avec l'allure féminine de sa tenue.
Elle semble me remarquer, et s'adresse à Parrain :
«Oh, c'est elle, c'est ça ?
— Yeeees !» répond-il.
Il inspire un grand coup, et reprend.
«Liv', je te présente Lilie, mon assistante ! Lilie, Olivia, ma nièce.
— Ravie de te rencontrer, ajoute la dénommée Lilie, en me tendant la main.
— Moi de même», hésité-je, avant de la serrer.
Alors, comme ça, je m'absente une année, et on se trouve une nouvelle assistante ? Très bien. Ce n'est pas que je le prends mal, mais l'ayant toujours aidé non-officiellement, j'avoue que le fait qu'il y ait une autre moi me perturbe quelque peu.
«Qu'est-ce qu'il se passe ici ? demande une voix en s'approchant de l'entrée. Pourquoi tout cet attroupement ?
— Pimprenelle ! m'exclamé-je en la serrant dans mes bras.
— Olivia ! Enfin de retour ! Bienvenue à la maison, ma puce !
— Bon, c'est pas tout ça, mais j'ai un quelque chose à te donner ! reprend Parrain en m'ébouriffant les cheveux. Allez, viens.
— Coraaaa ! Coraaaa !»
Lilie et Pimprenelle se décalent de l'embrasure la porte pour nous laisser passer, et nous entrons dans le petit logis. Provisoire, je l'espère. Ce n'est pas qu'il est précaire, désagréable ou quoi que ce soit, mais j'aurais vraiment voulu retrouver ma maison, la vraie, le Laboratoire.
Pas seulement la région.
«C'est petit, je sais, soupire Parrain, devançant ma question. On est là que le temps des réparations, relaaaax, Liv' ! Tu la retrouveras bientôt, ta maison. En attendant... viens voir ta surprise !
— Oui !» m'égosillé-je, impatiente.
Nous nous installons autour de la table, Parrain en face de moi.
«Tu te souviens de ce que tu as eu, l'année dernière ? commence-t-il calmement.
— Comment j'aurais pu oublier ?
— Une proposition, c'était ça. Eh bien, moi aussi, j'ai une proposition à te faire.»
Il se lève, et fouille dans un des multiples sacs disposés un peu en bazar dans l'appartement, avant de revenir s'assoir quelques secondes plus tard, une petite pochette à motifs tropicaux dans la main.
«Liv', tu m'excuseras. Je sais que tu viens de rentrer, et je voulais fêter ton anniversaire en même temps que ton retour. Cependant..., peut-être que tu vas repartir plus tôt que prévu, annonce-t-il en me tendant le paquet. Bon retour parmi nous, et bon anniversaire !»
Je saisis mon cadeau, et l'ouvre sans plus de suspens. À l'intérieur, se trouve une sorte de porte-clé, de forme géométrique. Quatre triangles. Un jaune ; Mele-Mele. Un rose ; Akala. Un rouge ; Ula-Ula. Un violet ; Poni. Quatre triangles, pour quatre îles.
«Une Amulette du Tour des Îles, m'explique Pimprenelle. Tous les Dresseurs y participant en ont une !
— Je sais que tu rêves d'être Professeure, mais je suis passé par là aussi ! Tu voulais t'améliorer et en apprendre plus, je te garantis que c'est ce qu'il te faut ! Avec Coraya, ça va être tranquiiiiiille ! Les Capitaines et Doyens n'ont qu'à bien se tenir !»
Je fixe le pendentif, bouche bée. Sans rien dire. Tout comme Lilie, qui me regarde avec compassion. Comme si elle avait conscience des deux camps qui se livrent bataille dans ma tête.
«Liv' ? Ça va ?»
D'un côté, moi. Mon rêve. Ma région. Partir vite, partir demain. À l'aventure. Avec simplement Coraya et ma besace, sur les routes d'Alola.
De l'autre, eux. Kaitlyn. Caleb. Je dois les attendre. Pour qu'on parte tous ensemble. Mais le problème, c'est l'attente.
«Oui. Oui, ça va, soupiré-je. C'est juste que... que je me suis fait des amis, là-bas, et que je voulais partir avec eux...
— Et alors ? Il n'y a aucun problème ! Tu fais ce que tu veux, Liv' ! C'était une proposition. Tout comme ta mère avant moi, je ne t'oblige à rien ! Tu vas pouvoir passer des vacances avec nous, relaaaaaax ! Elles vont pas s'envoler, tes îles !»
Je souris en guise de réponse, soulagée. J'appellerai mes acolytes ce soir, pour leur demander de venir illico presto. Mon Arceus, à peine rentrée, je vais déjà repartir ! Qui l'aurait cru ! Depuis le temps que j'en rêve, je vais pouvoir partir à la découverte d'Alola ; ça a beau faire douze ans que j'y vis, je ne connais ma région que très partiellement.
«Il y avait à autre chose au programme, mais...
— Un problème est survenu avec «l'occupant», annonce Lilie.
— Quel occupant ? m'étonné-je.
— Tu le sauras bien assez tôt, ne t'en fais pas pour ça ! rigole Parrain. Et si on enchaînait par la dégustation du gâteau ? Je suis sûr que ces heures d'avion ont ouvert l'appétit à ma filleule !
— Oh, oui !»
Chose dite, chose aussitôt faite. Pour mon repas de bienvenue, je ne suis pas déçue ! En effet, il est délicieux, mélangeant l'acidité, la douceur et l'aigreur de plusieurs Baies typiques.
Soudain, le sac de Lilie remue et émet un bruit presque inaudible, mais après un sifflement de sa part, le silence revient.
«Au fait, Olivia, m'apostrophe-t-elle. À Kalos, as-tu vu des Pokémon inhabituels ? Étranges ?
— Non, jamais. Enfin, j'en ai vu que je ne connaissais pas, mais aucun ne sortait du commun. Pourquoi ?
— Oh, comme ça. J'aurais juste besoin de ton aide, alors. Ton parrain et sa femme ont déjà gentiment accepté de m'héberger et de m'aider, mais je suppose qu'on ne sera pas de trop.
— On a retrouvé Lilie, épuisée, sur la plage, un beau matin, me raconte Pimprenelle. Avec simplement son sac et...
— Je lui expliquerai moi-même», conclut l'intéressée, mal à l'aise, coupant court à la conversation.
***
Le reste de la journée se passe dans un calme relatif. Je me ré-installe, bien que ce soit provisoire. Autant par mon départ, ou la reconstruction prévue du Labo. En effet, Parrain a prévu d'en profiter pour le rénover entièrement, avec l'aide de Molène, un ancien Capitaine et ami de longue date.
Quant à Lilie, elle part se promener en centre-ville, pour «nous laisser en famille, et étoffer sa garde-robe». Malgré la première impression assez négative qu'elle m'a faite, cette fille a l'air gentille. Elle dégage une réelle aura de douceur, mais semble brisée, au fond. Comme si elle fuyait quelque chose, ou quelqu'un. La panique qui l'a envahie lorsque son sac a remué en est bien la preuve. Qu'y-a-t-il a l'intérieur ? Je pense que j'aurais l'occasion de le découvrir...
***
Après un dîner au cours duquel les deux Professeurs n'ont cessé de me raconter les moindres potins aloliens de l'année, je retourne dans ma petite chambre ; je vais passer un coup d'Holokit à mes amis. Ça ne comblera pas le manque, mais en attendant de les retrouver en chair et en os, c'est mieux que rien. Je m'assois sur le rebord de mon lit, Coraya sur mes genoux, et sort l'appareil de mon sac à dos. Je revérifie une dernière fois que l'heure est la bonne, avec le décalage horaire, les choses sont légèrement plus compliquées, avant de l'allumer et de faire défiler les numéros de mon repeteroire. Vide.
«Qu'est-ce que...», marmonné-je avant de comprendre.
Je n'ai pas enregistré le leur ! Comment ai-je pu être si stupide ! C'est vrai qu'étant toujours fourrés tous les trois, nous n'en avons jamais eu réellement besoin....
Ma montée de joie et d'impatience s'écrase d'un coup, comme à la suite d'une attaque Chute Libre, et mon manque d'attention me donne envie de pleurer.
Dépitée, je m'apprête à aller me coucher, lorsque j'entends des voix, dans le salon.
Parrain. Et Pimprenelle. Qui parlent. À la limite de la dispute. C'est tellement rare que ça vaut la peine d'être relevé. Malheureusement, je peine à distinguer clairement leurs paroles, et ce ne sont que des bribes de mots qui me parviennent.
«Chéri, quand est-ce que tu accepteras enfin de voir la vérité en face ! De l'essence ! Ils ont retrouvé de l'essence ! Ça devient grave !
— Et qu'est-ce que je peux y faire ?
— Être un peu moins «relaaaax» car tout n'est pas «tranquiiiiille» !
— Si je le suis plus, ça va l'inquiéter, et on sait tous les deux à quoi ça mènera. C'est pour ça que, toi aussi, tu t'es bien gardée de dramatiser la situation.
— Tu te refusais à écouter Augustin, et...
— On reprendra lorsqu'on sera de retour à la maison. J'ai pas envie que ça atteigne les oreilles d'elle ou de Lilie.»
Ce qu'ils ne savent pas, c'est que j'ai tout entendu. Les vacances s'annoncent riches en enquêtes...