Certains, que nous appelleront des vieux, se souviennent peut-être encore qu'en des temps reculés, lorsque Poképédia n'était encore qu'un jeune forum, alors même que la publication de fics sur le forum était à ses balbutiements, sous l'impulsion de la plume de Revern (membre aujourd'hui disparu) , je prenais un malin plaisir à pourfendre les écrits des jeunes auteurs brillants d'espoir, pour les voir se torturer de douleur face à la critique. Mouais... avec le recul je trouve que j'étais vraiment très gentil à l'époque...
Puis au fil du temps, cette activité m'a lassée. Les écrits et les auteurs se succédaient, apportant chacun moins d'originalité et de profondeur que le précédent. Casser du sucre sur le dos de ces auteurs ne présentait plus aucun intérêt pour moi... (Ne faîtes pas attention à ce paragraphe, il est empli de mauvaise foi, et de " c'était mieux avant " ; en fait j'avais juste la flemme de lire parce que je n'avais plus beaucoup de temps à consacrer au forum (les études toussa toussa) )
Mais finalement, aujourd'hui je décide enfin de publier un de mes écrits, peut-être pour me prouver quelque chose à moi-même, ou voir ce que ça fait d'être dans la peau du critiqué. Ou alors juste parce que j'avais envie de publier un truc. Faut voir.
Alors tout d'abord, qu'est-ce que le Cercle des 12 ?
Et bien le cercle des 12, chers amis, c'est un cycle (ou un cercle) de 12 histoires complètement autonomes, ayant toutes pour thème la mythologie grecque ; et plus exactement, les histoires se cachant derrière les signes du zodiaques (qui sont, quelle coïncidence, au nombre de 12) . Parce que oui, chaque signe du zodiaque grec (et à fortiori, chaque constellation) a un mythe qui lui est associé.
Donc disais-je, ce sont des réécritures de mythes grec, mais avec la particularité d'être transposés dans la mythologie japonaise (ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer) .
Et niveau publication, ça va se passer comment ?
De manière très simple, je publierai quand j'aurais quelque chose à publier Mais normalement, il devrait y avoir une histoire par mois, l'idée étant de faire les 12 histoires (et donc les 12 signes du zodiaque) sur une année.
Toutes les histoires seront divisées en 3 parties qui seront du coup publiées au cours d'un mois, soit la partie entière d'une traite, soit en divisant la partie en plusieurs " chapitres " publiés quand je pourrai le faire.
Bon, je crois que c'est à peu près toutes les infos que j'avais a donner, passons maintenant à l'histoire qui nous intéresse.
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Cette première histoire s'intitule Kyoride wa Yama (vous comprendrez le sens au bout d'un moment ^^ ) et va vous faire suivre les aventures d'un héros fort sympathique dans sa quête d'identité.
Etant donnée que la 1ère partie prend 6 pages sur Word, j'ai décidé de publier cette partie petit à petit plutôt que d'un coup (ça, et le fait qu'il manque encore quelques trucs à écrire :° )
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Voici juste après une version compilée de l'ensemble de la 1ère partie.
Kyoride wa Yama — La grotte de milles feux :
Au loin, une montagne.
Majestueuse gardienne de la route menant de la terre aux cieux, elle trône sur l’horizon, géante parmi les montagnes, tel un colosse inébranlable.
Faisant face à la mer, ses abruptes falaises résistent sans ciller aux vagues dévastatrices de Kuraokami.
En son sein, des grottes, des cavernes, des gouffres se creusent, abritant moult formes de vie.
Et l’eau perce à travers des failles sous-marines. Et elle cymbale la surface de l’eau. Elle tambourine les roches des parois. Elle s’abat contre le sol de la caverne. Et les murs timbalent, balayés au passage. Et les bâtons de pluie tournent dans tous les sens.
Et le vent souffle au sommet de la montagne. Et il s’y engouffre en passant dans les creux. Sur les parois, l’air glisse, effleurant la roche. Les affleurements le fendent sur le passage, comme les biseaux font siffler un courant d’air. Des courants ascendants remontent les tuyaux et traversent les ouvertures des parois. Les feuilles sont des anches au passage de l’air.
Et le soleil se lève. Par les failles et les creux, sa lumière pénètre les cavernes. Elle frappe les parois, les éclaire, se réfléchit et poursuit sa course de paroi en paroi. Sur son passage des pierres, des minéraux réagissent, renvoient des lumières colorées jaune, verte, violette, bleu, rose. Et tout l’arc-en-ciel y passe. Et toute la grotte s’illumine, comme si elle était sertie de vitraux colorés.
Au centre de la montagne, entre terre et mer, une gigantesque grotte. Où que son regard se porte, il n’arrive pas à en voir les bords. Devant lui, une forêt, profonde, sombre. Il se promène tranquillement à l’orée de cette forêt. Soudain, un bruit. On s’approche.
Tout s’accélère brusquement. Il se rue dans la forêt. Au loin, il sent l’ennemi arriver. Derrière ? Devant ? Sur les flancs peut-être ? Le bruit assourdissant des pas fait écho tout autour de lui. Peu importe. Le danger est quand même là, quelque part.
Ils sont là. Quelque part. Le bruit environnant grandit. A gauche, à droite, là-bas, là. Ici ? Partout. Partout les pas font vibrer le sol. La forêt est trop sombre pour y voir. La lumière de la lisière en face est la seule lanterne.
La lumière, les pas, tout se rapproche. Il court. De plus en plus vite. Eux aussi. Leurs pas font trembler le sol. Il tremble. Ils courent encore plus vite. Il fond en larmes. Ils fondent sur lui.
Là ! La lumière grandit devant. La fin est proche. Il espère. Eux aussi.
De la forêt, une silhouette surgit. Un animal à la fourrure brune, ses bois en demi-lune avec une petite sphère à la base s’extirpe, apeuré. La plaine est là, devant lui, la forêt, derrière. Il s’arrête, se retourne, et prend le temps d’écouter s’ils le suivent toujours.
Une, deux, quatre, neuf, douze. Douze silhouettes surgissent à leur tour de la forêt. Ils sont comme une masse difforme de fourrure orange rayée noir. Ils l’encerclent. Leur regard est chargé d’agressivité. Certains ouvrent grandes leur gueules, d’autres montrent leurs griffent. Ils attendent un signal. L’un d’entre eux bondit sur lui. Il est différent des autres. Les autres le suive. Il se recroqueville à terre. Il se jette sur lui. Ils se jettent sur lui.
Rien. Plus rien ne bouge. Plus aucun bruit, seulement le couinement de la personne à terre. Les autres sont restés figés en l’air dans une sorte d’aura violette. Ils sont alors violemment projetés contre les arbres de la forêt et s’enfuient. Sauf un, il est différent des autres, sa fourrure n’est pas orange mais jaune or. Il est reposé à terre doucement.
« Ruka ! Hapi ! Allez aider Odoshishi. », lance fermement une voix métallique au loin. Deux personnes courent alors en direction de la personne à terre. L’un a un pelage bleu foncé, laissant par endroit apparaître sa peau noire. Sur son torse et l’arrière de ses mains, des pointes métalliques sortent de son corps. L’autre a une peau rose et blanche, et une poche sur le ventre. Son corps a la forme d’œuf, et sa peau forme comme des froufrous au niveau de sa taille.
La personne à la fourrure jaune s’éloigne d’Odoshishi. Derrière lui, Ruka et Hapi s’affairent à s’enquérir de l’état de la personne à terre. Il avance droit devant lui, vers là où la voix métallique s’est faite entendre. Un reflet de lumière trahit la présence de quelqu’un. Son corps est constitué d’un métal gris foncé. Il ne possède pas de jambes et il flotte dans les airs. Ses bras sont deux cylindres de métal, il n’a pas de mains, seules trois griffes sortent du bout des bras. Son regard est froid et vide, mais on ressent un certain agacement émanant de lui.
« Alors Kinzoku, on est arrivé à temps ? » s’exprime la personne au pelage jaune.
« Sire, nous rentrons » donne pour toute réponse la personne flottante, Kinzoku. Avant de partir, il demande à Ruka et Hapi de raccompagner Odoshishi au village et assure à ce dernier qu’il sera nourri et logé aux frais du roi Ryujin pendant les prochains mois, en compensation.
Après au moins une heure de marche, le jeune sire et Kinzoku, quoique ce dernier ne marche pas mais flotte au-dessus du sol, arrivent devant une gigantesque muraille s’étalant à perte de vue. Elle englobe un complexe d’édifices situés sur une stalagmite au centre de la grotte. La stalactite centrale vient effleurer une statue représentant un phénix sur le toit du bâtiment le plus haut.
Les murailles, si hautes que personne ne saurait en atteindre la moitié, sont faites d’une pierre faiblement tintée d’un bleu profond et de minerais envoyant une puissante lumière rose pâle. La porte, aux dimensions de l’édifice est faite d’un bois sombre cerclé de minerai rose. Elle est sculptée d’un haut-relief représentant une personne aux ailes écartées, avec des vagues s’éloignant de lui. Tous les contours des reliefs sont faits de minerai rose.
« Kinzoku ? Pourquoi tu m’as ramené ? Tu m’as même pas fait la morale » aboie-t-il au gouverneur.
« Votre père veut vous parler, Sire. » répond sèchement Kinzoku
La colossale porte s’ouvre, laissant apparaître plusieurs bâtiments derrière elle. La voie centrale continue droit devant, grimpant la stalagmite vers ce qui est le bâtiment le plus important, le palais de Ryujin. A droite et à gauche, plusieurs bâtiments sont bondés de gens en plein travail. Sur le passage du jeune sire, les groupes de personnes deviennent silencieuses et commencent à chuchoter une fois passé derrière lui.
En se rapprochant du palais, le petit groupe passe un torii en bois et entrent dans un autel dédié à Kuraokami, passage obligé sur le trajet.
Finalement, ils arrivent devant le palais.
Le palais. Érigé contre une colonne de pierre montant du sol au sommet de la grotte, il est la marque de la suprématie de Ryujin, roi sous la montagne, dieu des abysses. Tout ce qui se passe dans la caverne y est visible. Rien ne lui échappe.
Ses gigantesques murs sont intégralement faits à partir de coraux rouges et blancs éclatants et tous les piliers et les colonnes sont sculptés dans du cristal bleu et rose. Une saison est représentée sur chacun des quatre côté du palais.
A l’est, c’est le printemps qui fleuri sur les murs, et les cerisiers également, avec leur couleur rose pâle sur le fond cyan. Il fourmille de petits détails qui à la lumière du matin semblent le faire bouger entre les deux colonnes de cristal l’encadrant. Sa délicate douceur demeure intouchée et réchauffe les cœurs ; tout comme l’eau des mares à ses pieds. De nombreuses personnes vivent là ; des petites – pas plus de trente centimètres – , orange et bleu pâles avec une rectrice divisée en deux, ou rouge et bleu foncés, avec le ventre blanc et deux rectrices , se posent de temps à autres sur les branches des abricotiers en fleur et gazouillent mélodieusement. Dans les mares délicatement brumeuses – leur donnant cet aspect si mystérieux et pourtant si paisible – habitent d’autres personnes à la peau verte et jaune, et aux joues roses fluorescentes.
Au nord, c’est l’hiver. Le froid. La neige. La glace. Les murs prennent une teinte noire pâle, contrastée par l’épaisse couche neigeuse lui faisant face. Un lit de feuilles tombées des arbres dénudés s’y repose, desséchées par la froideur du lieu. Dans les rares étendues d’eau qui ne sont pas gelées, on peut apercevoir çà et là des personnes rondes, jaunes et vertes, et entièrement recouvertes de dards. De temps en temps, ils gonflent leur corps afin de se protéger de leur environnement. Aucune autre forme de vie n’y est distinguable. Les personnes qui passent là ne peuvent rien faire d’autre que regarder la neige. Encore et encore. Inlassablement.
A l’ouest, l’automne arrive, apportant avec lui le tonnerre, les typhons et les feuilles qui commencent à tomber. Depuis toute la façade ouest, une ouverture vers la surface dans les parois de la grotte permet d’admirer la lune et la rivière dans les cieux. La lumière se reflète sur la blancheur éclatante du mur, subtilement teinté vers sa base par toute sorte de fruits s’y frottant. Ce sont des poires, des coings, des pêches, des kakis, des pommes ou des raisins ; chacun venant apporter sa petite touche de couleur au paysage. La vie n’est pas en reste et se compose ici de personnes assez petites – entre trente centimètres et un mètre – contemplant paisiblement les feuilles changeant de couleur et brillant, sur les arbres et par terre. La plupart produisent des sons mélodieux en frottant leurs antennes, ou leurs bras sur leur torse, transmettant ainsi leurs émotions par la musique.
Et finalement, au sud, l’été. La saison de Ryujin. La saison des pluies et des tempêtes. La façade transpire d’un rouge écarlate contrastant avec la roche grise qu’on peut apercevoir en fond derrière le palais. De la glycine court sur sa surface, de nombreuses grappes de fleurs violettes et blanches pendant des tiges, adoucissant légèrement la puissance visuelle du mur. Par terre, des iris recouvrent tout le sol et amène une touche de blanc avec des pointes d’indigo à la scène. Enfin, quelques bigaradiers poussent et ombragent le jardin, permettant à ces habitants de se reposer sous ses fleurs blanches. Justement, ceux-ci apprécient la chaleur mais pas la lumière du soleil. Les nymphes vivent sous terre et se servent de leurs pattes pour creuser des galeries, et de leurs antennes pour se repérer. Lorsqu’elles sont prêtes, elles se dirigent vers la surface afin de muer. Une fois celle-ci achevées, elles se fixent sur les troncs des arbres et chantent pendant toute leur vie. Lorsqu’ils se déplacent, ils sont si rapides qu’il est impossible de les suivre, seul leur cri strident permet de les retrouver. Certaines légendes racontent que les mues laissées à l’abandon prennent vie et volent les âmes de ceux qui regardent à l’intérieur.
Au milieu de cette nature, un chemin en pierres colossales rouges et blanches conduit jusqu’à l’entrée du palais. Sur la gigantesque porte en bois est érigée un haut relief de Ryujin réalisé en cristal bleu transparent. C’est par là que tout le monde rentre dans le palais, surtout ceux ayant des actes à se reprocher.
Le duo arrive finalement devant la pièce du trône après être passé par un dédale de salles toutes plus impressionnantes les unes que les autres.
« Kinzoku, tu peux disposer, laisse nous » lance une voix féminine, sans qu’on puisse déterminer d’où elle provient.
« Bien Dame Kamiremasu » répond Kinzoku, s’éclipsant dans une des ailes du palais.
Le jeune sire s’avance de quelques pas, hésitant.
« Pourquoi ? » demande la reine, toujours invisible.
« Mère… ? »
« Pourquoi ? » reprend Kamiremasu. « Pourquoi fais-tu ça ? »
Un puissant hennissement se fait entendre. Il tourne la tête dans tous les sens, cherchant sa mère du regard. Finalement, il baisse sa tête vers ses pattes avant et le sol, considérant que c’est le meilleur moyen d’éviter sa colère.
« Va, ton père t’attend. » termine Kamiremasu, sa voix disparaissant dans les profondeurs du palais.
La tête toujours baissée, Il s’approche de la porte centrale. C’est là, derrière cette colossale porte que préside Ryujin, grand maître des abysses. La porte est faite de minerais rouge et blanc cerclée de bois sombre et parée de cristal rose représentant Ryujin dominant la mer.
La salle derrière est très vaste, le chemin central est fait de bandes de minerai rouge et blanc, la colonnade est en cristal, et au fond de la pièce, le trône, fait d’argent et de cristal rose surplombe le reste de l’espace. Le plafond est si haut qu’on ne le distingue pas. Les lumières proviennent des colonnes et des minerais au sol. Le trône, richement sculpté, est lui aussi éclairé depuis le sol, par une lumière à la fois puissante et mystérieuse.
Sur ce trône siège Ryujin, dieu de la mer. Du haut de son long cou, sa tête surplombe le petit être venu subir son courroux. Ses ailes gigantesques embrassent jusqu’aux colonnades de la pièce. Ses yeux sombres luisent dans la pénombre environnante. Tous peinent à distinguer sa silhouette, mais d’aucuns ne doutent de sa puissance. Son simple regard suffit à intimider quiconque l’observe. Ses pattes sont si puissantes qu’elles enfoncent le sol lorsqu’il marche. Un simple battement de ses ailes cause des tempêtes interminables. Ses ailerons bleu se hérissent sur son corps blanc. Ses simples respirations suffisent à semer la crainte à ceux qui se présentent à lui.
Et à peine entré, un grognement se fait déjà entendre.
« Qui es-tu ? » commence Ryujin.
« Oui. Qui es-tu ? Tu n’es rien. Tu n’es qu’un lâche. Tu amènes ici tous les maléfices. Tu t’entoures d’une bande de vauriens, mais sans eux, c’est toi qui n’es rien. Tu ne t’en prends qu’à de faibles civils, parce que tu es trop peureux pour t’en prendre à des personnes qui peuvent te répondre. Tu n’es rien. »
Jusqu’à présent subissant la colère de son père la tête basse, le garçon au pelage jaune rayé noir se relève. Ses yeux commencent à s’emplir de colère. Ses poils se hérissent sur tout son corps. Il baisse son corps, se prépare à bondir. Ses yeux sont pleins de haine. Alors que Ryujin s’approche de lui, Uneie s’élance vers le visage du dieu des abysses.
« Roaaar ! »
Il n’a même pas le temps de l’atteindre. Un simple hurlement le propulse à l’autre bout de la pièce, contre le mur.
« Tu n’as aucune personnalité. Tu n’es qu’un brouillard, flou, et dense. Tu n’es qu’un acide, érodant tous les liens qui nous soudent. Non. Tu n’es même pas ça. Tu n’es qu’un reflet, une image, une copie, de ceux qui t’entourent. Tu n’as rien de propre. Toi, tu n’es rien. »
« Hmpf. Et donc ? Qu’est-ce que tu vas faire ? Me bannir du palais ? Ça tombe bien, je reste jamais derrière ces remparts, ils me rendent malades » répond sarcastiquement le garçon.
« Non, tu ne verras plus jamais ces murailles. A compter d’aujourd’hui, tu es à tout jamais banni de mon royaume. Tu es condamné à errer sans but à l’extérieur de la montagne pour toujours. » proclame alors Ryujin. Un léger trémolo se fait ressentir en prononçant ces paroles. « Va-t’en maintenant. »
A ces mots, les pupilles du jeune sire se dilatent. Banni ? Banni ? Qu'est-ce que cela signifie ? Il lui faut un certain temps avant de réaliser ce qui lui arrive. Et à ce moment, un aura d'un noir des plus profonds commence à émaner de lui. Ses poils se hérissent, ses griffes marquent le sol, ses crocs dépassent de sa gueule. Ryujin lui tourne le dos et se dirige vers une porte située derrière le trône. Uneie avance sa patte droite vers le roi. Il tourne la tête vers son fils.
« Va-t'en ! » La voix claire et puissante de Ryujin retentit dans tout le palais. Une onde psychique traverse toute la pièce et fend les coraux et les cristaux. L'expression sur son visage reflète la colère la plus forte qu'une personne puisse exprimer.
Le jeune homme à la fourrure dorée se retourne et sors de la salle, traînant avec lui son aura macabre.
« Tu as pris la bonne décision » s’exprime une puissante voix énigmatique derrière le trône d’argent.
« En es-tu vraiment sûr ? » répond Ryujin, dubitatif et inquiet.
« Nous lui avons mis toutes les cartes en main. Seul lui peut maintenant décider de sa vie »
« Puisse Lui lui accorder une chance »
« Aie confiance Ryujin, aie confiance, Il ne se trompe jamais »
Encore une fois, la tranquillité de la caverne est troublée. De quelques kilomètres au nord de Kessho, dans un repli sombre de la caverne, une atmosphère sombre émane. Seuls quelques cristaux çà et là permettent de distinguer les personnes rassemblés dans ce lieu, toutes collées les unes aux autres, faces contre terre, comme s’ils avaient…
« GROOOOOARRR ! »
L’antre s’illumine soudainement d’une puissante lumière jaune-orangée. Des flammes se propagent, chatouillant les parois, asséchant l’humidité ambiante. Puis, plus rien. Les flammes s’évanouissent, la lumière vive cède sa place à des tons plus sombres, l’antre s’éteint.
« Il croit qu’il peut se débarrasser de moi comme ça ? Moi, son fils ! Jamais je ne partirai d’ici ! » s’écrie le garçon au pelage jaune, empli de colère.
« Mais, qu’est-ce que tu comptes faire ? On ne peut pas s’opposer à lui, personne ne le peut, U– »
A ces mots, le jeune homme parlant s’arrêta. Devant lui se tenait le dit fils de Ryujin, ses yeux gris-noir brillaient d’une telle force qu’ils luisaient dans l’obscurité ambiante. Il agrippa le jeune garçon à terre, et le souleva. Tous les autres regardaient la scène, les yeux grands ouverts, le visage pâle et le corps tremblant. Un silence pesant assourdissait l’antre. Aucun bruit. Aucun. Pendant quelques secondes, le garçon de sang royal regarda la personne en face de lui dans les yeux. Ces secondes durèrent plusieurs minutes pour tous ceux qui étaient autour.
De la lumière, encore. Une gerbe de petites flammèches se propagea. Tout le monde fut abasourdi par ce qu’ils venaient de voir.
Le fils de Ryujin lâcha son comparse par terre. Aussitôt, les autres autour accoururent pour vérifier son état. Le garçon doré s’exprima alors :
« Nous allons attaquer Kessho. Regroupez-vous autour de moi, je vais vous expliquer le plan. »
Dans toute la grotte, une ambiance malveillante se fit sentir.
Faces contre terre, toutes collées les unes contre les autres, plusieurs personnes sont rassemblées dans un antre. On ne peut les distinguer, tous les cristaux se sont éteints. Une atmosphère sombre émane d'un petit coin de la caverne, situé quelques kilomètres au nord de Kessho, la plus grande ville de la grotte. La tranquillité de la caverne va être troublée.
Kessho, la ville aux cristaux. Le joyau de la grotte. C’était une grande ville, la plus grande de toute la grotte, célèbre pour ses illuminations. Une ville dynamique, où tout le monde s’affaire de jour comme de nuit. De par son emplacement stratégique entre les différents points de passages majeurs de la grotte, et sa proximité au palais de Ryujin, Kessho était un haut lieu de commerce, abritant des marchés important toute sorte de produits des quatre coins du monde extérieur, des bijoux, des épices, des pierres précieuses et tout ce qui pouvait s’acheter où se vendre se trouvait là-bas.
Mais bien plus que tout ça, le produit phare de Kessho était bien évidemment ses cristaux. Massivement utilisé dans l’architecture de la ville pour les bâtiments, l’éclairage, et toute construction dans laquelle on pouvait en caser, le cristal de Kessho était mondialement connu pour ses qualités esthétiques. Sa finesse, sa pureté, sa couleur, en faisait le matériau rêvé pour les artistes. Des pièces monumentales étaient utilisées par des sculpteurs pour ériger de gigantesques statues à la gloire d’un lointain souverain. Réduite en poudre, la poussière de Sendo était utilisée par les peintres afin de créer des mélanges de couleurs saisissants. Enfin, les bijoux taillés dans les cristaux s’arrachaient à prix d’or par tous.
Touristes, marchants, et artistes faisaient parfois plusieurs milliers de kilomètres pour ne serait-ce qu’avoir la chance de voir la capitale mondiale des arts, la ville-lumière, la cité sous la montagne.
Mais cette nuit, les cristaux étaient ternes. Comme à son habitude, malgré l’heure avancée, la ville était encore très active. Les gens vaquaient à leurs occupations, sans se soucier de ce qui se passait autour d’eux. Cependant, çà et là, quelques groupes de personnes discutaient de cette nuit anormalement sombre.
Il ne fallut pas attendre longtemps pour que celle-ci s’illumine.
En haut d’une colline adjacente, une horde de cristaux anthracite brille. Les cristaux se déplacent dans l’obscurité, comme des billes qui roulent le long d’une pente. Qui roulent. Qui roulent. Qui roulent.
Et la lumière jaillit.
C’est alors que, depuis le nord de la ville, un formidable mur de flammes jaillit soudainement. Sur son trajet se trouve l’allée principale de Kessho. Les passants, interloqués, se tournent alors en direction de cette nouvelle source de lumière. Leurs esprits se vident. Aboiements, rugissements, hurlements, grincements, toutes formes de cris se font entendre alors que la panique se propage. A cela se rajoute les bruits de pas des personnes se hâtant pour échapper aux flammes. Des gens tombent, d'autres pleurent. Tout le monde se bouscule dans un vacarme assourdissant. Ceux qui sont à terre sont piétinés. On n'aide pas les gens à se relever. Les enfants sont traînés par leurs parents. S'ils lâchent, alors ils seront lâchés. Les souvenirs d'une vie passé, d'une enfance heureuse tombent au sol, sans le moindre espoir d'être récupérés. Les étals sont laissés à l'abandon, peu importe si des appareils fonctionnent encore. Au milieu de cette masse, des enfants pleurent, mais personne ne pourra rien faire pour eux.
Au loin, des roues de feu transpercent le mur enflammé et se ruent sur les civils cherchant à fuir. Il ne leur faut que quelques secondes pour les rattraper et les mettre à terre. Quelques habitants, interloqués par les bruits, sortent de chez eux pour observer ce qui se passe dehors. Des crocs enflammés fondent sur eux sans crier gare. Ils n’ont même pas le temps de rentrer chez eux.
Au fur et à mesure que la nuit progresse, le bruit s’évapore, laissant place au son du silence. Kessho brille de mille feux. On cherche, on flaire, on traque ; des béliers enfoncent les rares bâtiments encore fermés. De courageux civils se défendant, les forces de l’ordre, la garde royale… Mais voilà le résultat. Le silence.
Seules des billes couleur anthracite bougent encore dans la ville désolée et incendiée.
Mais l’horreur n’est pas encore arrivée. Au loin, une silhouette blanche et bleu commence à apparaître, rasant l’horizon. Avec celle-ci, la Terreur. Dans son sillage, un galop se fait entendre. En quelques fractions de secondes, Terreur et Espoir s’abattent sur Kessho. C’est comme si la Lune se posait sur la ville, entraînant avec elle des marées et des tempêtes destructrices. La pluie danse au-dessus des ruines, éteignant rapidement les flammes qui embrasaient la cité.
Avant même de pouvoir réfléchir, les billes se trouvent complètement piégées par un feu infernal. Il en faudrait bien plus pour venir à bout d’eux !, pensent-ils, confiant. Et bien plus il y eu. Aussitôt sortis du piège de flammes, un véritable boutefeu d’une puissance inédite entraîne une formidable déflagration dont la cible ne fait aucun doute. Une Furie s’abat sur eux. Sa rapidité est telle qu’aucun n’arrive à la suivre, n’apercevant que la myriade d’étincelles ardentes laissées au passage de sa crinière de feu. Elle ne prend pas la peine d’apparaître à leurs yeux.
A l’écart de ce groupe, l’œil du cyclone. La calme avant la tempête.
« Alors vous êtes venus » s’exprime l’enfant au pelage jaune.
Mais il n’obtint pour seule réponse que le plissement des yeux noirs de son interlocuteur. L’air ambiant s’humidifie au fur et à mesure que la tension grandit. Le vent souffle de plus en plus fort, comme attiré par le roi sous la montagne. Il tourbillonne autour de lui. De plus en plus fort. De plus en plus vite. Ses immenses pouvoirs psychiques écrasent l’atmosphère environnante. Aucune personne normale ne pourrait se tenir encore debout face à tant de pression.
Mais ce garçon le pouvait. Bien au contraire d’être apeuré ou terrifié face à ce colosse de plus de cinq mètres, la rage grandissait en lui. Ses griffes étaient si aiguisées qu’elles rayeraient du diamant, ses canines suffisamment pointues pour transpercer les armures les plus solides. Et son regard. Accumulant en lui toute la haine qu’il avait, ses pupilles étaient réduites à deux minuscules points gris foncés. Sa fourrure se hérissait sur l’ensemble de son corps, de la queue au visage. Son corps se préparait à recevoir les chocs les plus violents de toute sa vie.
La Lune et son fils. Un calme comme la nuit au dehors. Un calme des plus tranquilles. Un calme des plus paisibles, comme la ville autour.
« Réponds-m… ! »
Avant même qu’il n’ait pu finir sa phrase, un puissant vortex d’air est violemment propulsé vers Uneie. Il se fait heurter de plein fouet et traverse une, deux, quatre maisons qui étaient encore restées debout avant de s’écraser contre le mur d’une cinquième.
Personne ne bat le roi sous la montagne.
Sauf peut-être son fils, qui se relève tant bien que mal du choc. Aussitôt remis sur pattes, Uneie se hâte le plus vite possible vers son père afin de le prendre par surprise, mais Ryujin est plus rapide et violent que le grain blanc. Il ne laisse pas le temps à son fils de se placer et d’un large battement d’ailes produit un cyclone d’une force inouïe, qui l'envoie de nouveau valser dans les airs. Le jeune garçon en profite pour s’entourer d’électricité et se propulser vers le roi, qui ne peut esquiver le coup. Une fois au contact, il ouvre grand sa mâchoire et plante directement ses crocs dans le dos de Ryujin. On entend le roi gémir. Un cri si horrible qu’il tourmente à jamais la mémoire de ceux qui l’écoute. Il plante ses crocs autant de fois qu’il le peu.
Mais Uneie est naïf. Il en faut bien plus pour venir à bout du roi des abysses. Son assurance n’est en rien entamée. D’un agile mouvement, il se débarrasse du misérable lâche qui attaque son dos et le renvoie à terre. Il se pose sur le sol pour soigner ses plaies et en profite pour charger directement Uneie. Celui-ci essaye désespérément de surchauffer l’air environnent pour ralentir Ryujin, mais rien n’y fait. On ne peut arrêter le roi aussi facilement. Alors qu’il arrive au contact, Uneie baisse sa garde afin de d’attaquer son père de toutes ses forces. Grave erreur. Ryujin s’élève soudainement en l’air, esquive l’attaque de son fils et lui envoie un rayon gelé à bout touchant.
C’est fini. Uneie est instantanément paralysé par la glace. Le roi prend le bloc de glace dans sa gueule, et le jette haut en l’air. Il lève la tête vers le bloc contenant son fils, et attend que celui-ci retombe. Il charge de l’énergie autour de sa gueule. Le bloc tombe. Il continue à se charger. Le bloc continue de tomber. Une fois arrivé presqu’au contact de son père, Uneie s’extirpe de la glace, et dans une dernière tentative, déchaîne sa colère sur le roi. Le bloc de glace aurait peut-être pu le protéger un petit peu.
Un puissant rayon d’énergie sort de la gueule de Ryujin en ligne droite, atteignant directement son fils. Le rayon est si fort qu’il englobe intégralement le jeune sire. Il est si violent qu’il poursuit sa course jusqu’aux parois de la grotte. Il les transperce sans le moindre problème. Le rayon d’énergie est si monumental qu’il ouvre une paroi dans la montagne. Uneie quant à lui a été éjecté en chemin. Il s’est écrasé contre l’une des colonnes de la grotte. Après avoir repris ses esprits, il regarde autour de lui. Au loin, bien loin, très loin, deux petites billes noires le scrutent.
C’est la Terreur qui l’observe.
La Terreur.
Une fois encore, la fourrure d’Uneie se hérisse. Mais ce n’est pas de la colère. C’est de la terreur. Celle qu’on ressent lorsqu’on voit ce qui peut mettre fin à nos jours. Celle qu’on perçoit seulement lorsqu’Elle est là, directement sous nos yeux. Celle qu’on observe uniquement lorsqu’il est trop tard.
Ses pattes se mettent à bouger d’elles-mêmes. Son corps se retourne, mais sa tête reste fixée sur les billes sombres au loin. Alors qu’il se dirige vers la sortie de la grotte, un puissant cri se fait entendre, résonnant dans toute la grotte. On ne peut discerner d’où il provient. D’en haut ? D’en bas ? De l’autre côté de la grotte ? Ou alors, de juste derrière ses oreilles ?
Deux gigantesques billes noires le fixe, obstruant tout le champ de vision. Prêtes à s’abattre sur lui à tout instant. Juste au-dessus de sa tête.
L’extérieur de la grotte est baignée par la lueur de la lune. Au moins, celle-ci est inoffensive. Le monde serait bien sombre sans cette source de lumière.
Des tâches vertes et marron viennent obstruer son passage, mais on discerne quand même le ciel étoilé derrière elles. Au-dessus, c’est la pleine lune. Légèrement à sa droite, Spica se remarque difficilement, tant la lumière de l’astre rayonne. Le soleil de la nuit illumine le monde de sa douce et mystérieuse lumière. A cette période de l’année, les premières étoiles de la constellation du Bélier commencent à apparaître dans le ciel lorsque le soleil se lève. Le Shunbun, la journée où la nuit laisse la place au jour.
Les cèdres centenaires de la forêt donnent un aspect sacré à la scène. Un temple à l’atmosphère paisible, à l’ambiance tranquillisante, seulement perturbé de temps en temps par le souffle du vent dans les feuilles. Leurs troncs si massifs retiennent la terre, ralentissent et affaiblissent les catastrophes. Ils servent de lieux de rencontre et de vie pour de nombreuses personnes. D’ailleurs, tout le monde dort paisiblement sur leurs branches ou entre leurs feuilles. La Lune et la Terreur sont loin derrière, ils n’appartiennent pas à ce monde.
Ici, seule une confortable lumière blanchâtre brille dans le ciel.
« Tu comptes observer les étoiles encore longtemps ? » dit une voix puissante juste derrière le jeune garçon, sursautant à cause de la surprise.
« Qui… Qui êtes-vous ? » répond-il en se retournant d’un seul bloc. Mais il ne voit personne devant lui, juste l’antre sombre de la grotte.
« En haut. » énonce la voix inconnue.
Levant la tête, le jeune garçon à la fourrure dorée aperçoit finalement celui qui lui parle. Se tenant sur un nuage, une personne colossale à la peau orangée se dresse au-dessus de lui. Il n’est pas spécialement grand, mais sa carrure est imposante. Sur sa peau, des petites tâches plus foncées dessinent des symboles, dont certains ressemblent à des magatamas. Son visage est plutôt triangulaire, avec une moustache blanche pointue constituée de quatre épis orientés vers le bas, de deux yeux jaune à l’iris blanche, et de trois cornes au sommet de son crâne. A l’arrière de celui-ci se trouve une sorte de maillet blanc encore plus grand que sa tête. De son nuage sort une queue marron massive, avec des plaques circulaires rouge çà et là.
« Je suis Inari. Mais c’est très mal élevé de demander à quelqu’un son identité sans se présenter soi-même. »
Inari. Inari ? Ce nom lui évoque étrangement quelque chose, comme s’il l’avait déjà entendu auparavant. Au palais peut-être ?
« Je m’appelle U– » commence le jeune garçon, alors qu’il reprend soudainement ses esprits, et la personnalité haineuse qui va avec. « Ça ne te regarde pas ! » termine-t-il d’une voix forte mais chevrotante.
« Oh, ce regard. » répond Inari, complètement flegmatique. « Enfin, ce n’est pas grave, je sais déjà qui tu es. »
« Comment ? »
Ignorant complètement la remarque du jeune garçon maintenant déboussolé, Inari continue de dire de sa voix puissante : « Tu ne m’as pas l’air d’avoir envie de retourner dans cette montagne de sitôt. »
« En quoi ça te regarde ? Je fais ce que je veux. »
« Ah ? Toi qui a toujours été habitué à être nourri et à vivre une vie aisée, tu peux me dire comment tu vas te débrouiller tout seul dans le monde extérieur ? » répond Inari, toujours flegmatique.
« Je saurais me débrouiller ! »
« Ici ce n’est pas la ville, il n’y a pas de civils. Tout le monde sait se battre, et si tu t’en prends à une seule personne, tout le monde te tombera dessus. »
« Va-t’en ! » réplique le jeune garçon, commençant à montrer les crocs.
« Soit. Je m’en vais. Il y a une ville au sud-ouest d’ici à environ six heures de marche. Elle s’appelle Enju. C’est une ville assez grande, reconnaissable à ses sophoras et sa teinte rouge profonde. Je te conseille d’y aller, parce qu’ici, tu ne feras pas… long feu. » visiblement satisfait de son jeu de mots, Inari s’élève dans les cieux et s’en va en direction de l’est.
Uneie lance une gerbe de flammes à sa poursuite, avec ces mêmes yeux remplis de susceptibilité, mais comme tout le reste, ce n’est d’aucun effet sur Inari, qui n’y prête même pas attention.
Grommelant à voix basse, il se retourne pour faire dos à la montagne. Le choix est vite pris, le seul chemin praticable se dirige vers le sud-ouest.
Et ainsi il commence à s’avancer sur la route faisant dos à la lune.
Derrière lui, la montagne se fait de plus en plus petite.
Majestueuse gardienne de la route menant de la terre aux cieux, elle trône sur l’horizon, géante parmi les montagnes, tel un colosse inébranlable.
Faisant face à la mer, ses abruptes falaises résistent sans ciller aux vagues dévastatrices de Kuraokami.
En son sein, des grottes, des cavernes, des gouffres se creusent, abritant moult formes de vie.
Et l’eau perce à travers des failles sous-marines. Et elle cymbale la surface de l’eau. Elle tambourine les roches des parois. Elle s’abat contre le sol de la caverne. Et les murs timbalent, balayés au passage. Et les bâtons de pluie tournent dans tous les sens.
Et le vent souffle au sommet de la montagne. Et il s’y engouffre en passant dans les creux. Sur les parois, l’air glisse, effleurant la roche. Les affleurements le fendent sur le passage, comme les biseaux font siffler un courant d’air. Des courants ascendants remontent les tuyaux et traversent les ouvertures des parois. Les feuilles sont des anches au passage de l’air.
Et le soleil se lève. Par les failles et les creux, sa lumière pénètre les cavernes. Elle frappe les parois, les éclaire, se réfléchit et poursuit sa course de paroi en paroi. Sur son passage des pierres, des minéraux réagissent, renvoient des lumières colorées jaune, verte, violette, bleu, rose. Et tout l’arc-en-ciel y passe. Et toute la grotte s’illumine, comme si elle était sertie de vitraux colorés.
⁂
Au centre de la montagne, entre terre et mer, une gigantesque grotte. Où que son regard se porte, il n’arrive pas à en voir les bords. Devant lui, une forêt, profonde, sombre. Il se promène tranquillement à l’orée de cette forêt. Soudain, un bruit. On s’approche.
Tout s’accélère brusquement. Il se rue dans la forêt. Au loin, il sent l’ennemi arriver. Derrière ? Devant ? Sur les flancs peut-être ? Le bruit assourdissant des pas fait écho tout autour de lui. Peu importe. Le danger est quand même là, quelque part.
Ils sont là. Quelque part. Le bruit environnant grandit. A gauche, à droite, là-bas, là. Ici ? Partout. Partout les pas font vibrer le sol. La forêt est trop sombre pour y voir. La lumière de la lisière en face est la seule lanterne.
La lumière, les pas, tout se rapproche. Il court. De plus en plus vite. Eux aussi. Leurs pas font trembler le sol. Il tremble. Ils courent encore plus vite. Il fond en larmes. Ils fondent sur lui.
Là ! La lumière grandit devant. La fin est proche. Il espère. Eux aussi.
De la forêt, une silhouette surgit. Un animal à la fourrure brune, ses bois en demi-lune avec une petite sphère à la base s’extirpe, apeuré. La plaine est là, devant lui, la forêt, derrière. Il s’arrête, se retourne, et prend le temps d’écouter s’ils le suivent toujours.
Une, deux, quatre, neuf, douze. Douze silhouettes surgissent à leur tour de la forêt. Ils sont comme une masse difforme de fourrure orange rayée noir. Ils l’encerclent. Leur regard est chargé d’agressivité. Certains ouvrent grandes leur gueules, d’autres montrent leurs griffent. Ils attendent un signal. L’un d’entre eux bondit sur lui. Il est différent des autres. Les autres le suive. Il se recroqueville à terre. Il se jette sur lui. Ils se jettent sur lui.
Rien. Plus rien ne bouge. Plus aucun bruit, seulement le couinement de la personne à terre. Les autres sont restés figés en l’air dans une sorte d’aura violette. Ils sont alors violemment projetés contre les arbres de la forêt et s’enfuient. Sauf un, il est différent des autres, sa fourrure n’est pas orange mais jaune or. Il est reposé à terre doucement.
« Ruka ! Hapi ! Allez aider Odoshishi. », lance fermement une voix métallique au loin. Deux personnes courent alors en direction de la personne à terre. L’un a un pelage bleu foncé, laissant par endroit apparaître sa peau noire. Sur son torse et l’arrière de ses mains, des pointes métalliques sortent de son corps. L’autre a une peau rose et blanche, et une poche sur le ventre. Son corps a la forme d’œuf, et sa peau forme comme des froufrous au niveau de sa taille.
La personne à la fourrure jaune s’éloigne d’Odoshishi. Derrière lui, Ruka et Hapi s’affairent à s’enquérir de l’état de la personne à terre. Il avance droit devant lui, vers là où la voix métallique s’est faite entendre. Un reflet de lumière trahit la présence de quelqu’un. Son corps est constitué d’un métal gris foncé. Il ne possède pas de jambes et il flotte dans les airs. Ses bras sont deux cylindres de métal, il n’a pas de mains, seules trois griffes sortent du bout des bras. Son regard est froid et vide, mais on ressent un certain agacement émanant de lui.
« Alors Kinzoku, on est arrivé à temps ? » s’exprime la personne au pelage jaune.
« Sire, nous rentrons » donne pour toute réponse la personne flottante, Kinzoku. Avant de partir, il demande à Ruka et Hapi de raccompagner Odoshishi au village et assure à ce dernier qu’il sera nourri et logé aux frais du roi Ryujin pendant les prochains mois, en compensation.
⁂
Après au moins une heure de marche, le jeune sire et Kinzoku, quoique ce dernier ne marche pas mais flotte au-dessus du sol, arrivent devant une gigantesque muraille s’étalant à perte de vue. Elle englobe un complexe d’édifices situés sur une stalagmite au centre de la grotte. La stalactite centrale vient effleurer une statue représentant un phénix sur le toit du bâtiment le plus haut.
Les murailles, si hautes que personne ne saurait en atteindre la moitié, sont faites d’une pierre faiblement tintée d’un bleu profond et de minerais envoyant une puissante lumière rose pâle. La porte, aux dimensions de l’édifice est faite d’un bois sombre cerclé de minerai rose. Elle est sculptée d’un haut-relief représentant une personne aux ailes écartées, avec des vagues s’éloignant de lui. Tous les contours des reliefs sont faits de minerai rose.
« Kinzoku ? Pourquoi tu m’as ramené ? Tu m’as même pas fait la morale » aboie-t-il au gouverneur.
« Votre père veut vous parler, Sire. » répond sèchement Kinzoku
La colossale porte s’ouvre, laissant apparaître plusieurs bâtiments derrière elle. La voie centrale continue droit devant, grimpant la stalagmite vers ce qui est le bâtiment le plus important, le palais de Ryujin. A droite et à gauche, plusieurs bâtiments sont bondés de gens en plein travail. Sur le passage du jeune sire, les groupes de personnes deviennent silencieuses et commencent à chuchoter une fois passé derrière lui.
En se rapprochant du palais, le petit groupe passe un torii en bois et entrent dans un autel dédié à Kuraokami, passage obligé sur le trajet.
Finalement, ils arrivent devant le palais.
Le palais. Érigé contre une colonne de pierre montant du sol au sommet de la grotte, il est la marque de la suprématie de Ryujin, roi sous la montagne, dieu des abysses. Tout ce qui se passe dans la caverne y est visible. Rien ne lui échappe.
Ses gigantesques murs sont intégralement faits à partir de coraux rouges et blancs éclatants et tous les piliers et les colonnes sont sculptés dans du cristal bleu et rose. Une saison est représentée sur chacun des quatre côté du palais.
A l’est, c’est le printemps qui fleuri sur les murs, et les cerisiers également, avec leur couleur rose pâle sur le fond cyan. Il fourmille de petits détails qui à la lumière du matin semblent le faire bouger entre les deux colonnes de cristal l’encadrant. Sa délicate douceur demeure intouchée et réchauffe les cœurs ; tout comme l’eau des mares à ses pieds. De nombreuses personnes vivent là ; des petites – pas plus de trente centimètres – , orange et bleu pâles avec une rectrice divisée en deux, ou rouge et bleu foncés, avec le ventre blanc et deux rectrices , se posent de temps à autres sur les branches des abricotiers en fleur et gazouillent mélodieusement. Dans les mares délicatement brumeuses – leur donnant cet aspect si mystérieux et pourtant si paisible – habitent d’autres personnes à la peau verte et jaune, et aux joues roses fluorescentes.
Au nord, c’est l’hiver. Le froid. La neige. La glace. Les murs prennent une teinte noire pâle, contrastée par l’épaisse couche neigeuse lui faisant face. Un lit de feuilles tombées des arbres dénudés s’y repose, desséchées par la froideur du lieu. Dans les rares étendues d’eau qui ne sont pas gelées, on peut apercevoir çà et là des personnes rondes, jaunes et vertes, et entièrement recouvertes de dards. De temps en temps, ils gonflent leur corps afin de se protéger de leur environnement. Aucune autre forme de vie n’y est distinguable. Les personnes qui passent là ne peuvent rien faire d’autre que regarder la neige. Encore et encore. Inlassablement.
A l’ouest, l’automne arrive, apportant avec lui le tonnerre, les typhons et les feuilles qui commencent à tomber. Depuis toute la façade ouest, une ouverture vers la surface dans les parois de la grotte permet d’admirer la lune et la rivière dans les cieux. La lumière se reflète sur la blancheur éclatante du mur, subtilement teinté vers sa base par toute sorte de fruits s’y frottant. Ce sont des poires, des coings, des pêches, des kakis, des pommes ou des raisins ; chacun venant apporter sa petite touche de couleur au paysage. La vie n’est pas en reste et se compose ici de personnes assez petites – entre trente centimètres et un mètre – contemplant paisiblement les feuilles changeant de couleur et brillant, sur les arbres et par terre. La plupart produisent des sons mélodieux en frottant leurs antennes, ou leurs bras sur leur torse, transmettant ainsi leurs émotions par la musique.
Et finalement, au sud, l’été. La saison de Ryujin. La saison des pluies et des tempêtes. La façade transpire d’un rouge écarlate contrastant avec la roche grise qu’on peut apercevoir en fond derrière le palais. De la glycine court sur sa surface, de nombreuses grappes de fleurs violettes et blanches pendant des tiges, adoucissant légèrement la puissance visuelle du mur. Par terre, des iris recouvrent tout le sol et amène une touche de blanc avec des pointes d’indigo à la scène. Enfin, quelques bigaradiers poussent et ombragent le jardin, permettant à ces habitants de se reposer sous ses fleurs blanches. Justement, ceux-ci apprécient la chaleur mais pas la lumière du soleil. Les nymphes vivent sous terre et se servent de leurs pattes pour creuser des galeries, et de leurs antennes pour se repérer. Lorsqu’elles sont prêtes, elles se dirigent vers la surface afin de muer. Une fois celle-ci achevées, elles se fixent sur les troncs des arbres et chantent pendant toute leur vie. Lorsqu’ils se déplacent, ils sont si rapides qu’il est impossible de les suivre, seul leur cri strident permet de les retrouver. Certaines légendes racontent que les mues laissées à l’abandon prennent vie et volent les âmes de ceux qui regardent à l’intérieur.
Au milieu de cette nature, un chemin en pierres colossales rouges et blanches conduit jusqu’à l’entrée du palais. Sur la gigantesque porte en bois est érigée un haut relief de Ryujin réalisé en cristal bleu transparent. C’est par là que tout le monde rentre dans le palais, surtout ceux ayant des actes à se reprocher.
Le duo arrive finalement devant la pièce du trône après être passé par un dédale de salles toutes plus impressionnantes les unes que les autres.
⁂
« Kinzoku, tu peux disposer, laisse nous » lance une voix féminine, sans qu’on puisse déterminer d’où elle provient.
« Bien Dame Kamiremasu » répond Kinzoku, s’éclipsant dans une des ailes du palais.
Le jeune sire s’avance de quelques pas, hésitant.
« Pourquoi ? » demande la reine, toujours invisible.
« Mère… ? »
« Pourquoi ? » reprend Kamiremasu. « Pourquoi fais-tu ça ? »
Un puissant hennissement se fait entendre. Il tourne la tête dans tous les sens, cherchant sa mère du regard. Finalement, il baisse sa tête vers ses pattes avant et le sol, considérant que c’est le meilleur moyen d’éviter sa colère.
« Va, ton père t’attend. » termine Kamiremasu, sa voix disparaissant dans les profondeurs du palais.
La tête toujours baissée, Il s’approche de la porte centrale. C’est là, derrière cette colossale porte que préside Ryujin, grand maître des abysses. La porte est faite de minerais rouge et blanc cerclée de bois sombre et parée de cristal rose représentant Ryujin dominant la mer.
La salle derrière est très vaste, le chemin central est fait de bandes de minerai rouge et blanc, la colonnade est en cristal, et au fond de la pièce, le trône, fait d’argent et de cristal rose surplombe le reste de l’espace. Le plafond est si haut qu’on ne le distingue pas. Les lumières proviennent des colonnes et des minerais au sol. Le trône, richement sculpté, est lui aussi éclairé depuis le sol, par une lumière à la fois puissante et mystérieuse.
Sur ce trône siège Ryujin, dieu de la mer. Du haut de son long cou, sa tête surplombe le petit être venu subir son courroux. Ses ailes gigantesques embrassent jusqu’aux colonnades de la pièce. Ses yeux sombres luisent dans la pénombre environnante. Tous peinent à distinguer sa silhouette, mais d’aucuns ne doutent de sa puissance. Son simple regard suffit à intimider quiconque l’observe. Ses pattes sont si puissantes qu’elles enfoncent le sol lorsqu’il marche. Un simple battement de ses ailes cause des tempêtes interminables. Ses ailerons bleu se hérissent sur son corps blanc. Ses simples respirations suffisent à semer la crainte à ceux qui se présentent à lui.
Et à peine entré, un grognement se fait déjà entendre.
⁂
« Qui es-tu ? » commence Ryujin.
« Oui. Qui es-tu ? Tu n’es rien. Tu n’es qu’un lâche. Tu amènes ici tous les maléfices. Tu t’entoures d’une bande de vauriens, mais sans eux, c’est toi qui n’es rien. Tu ne t’en prends qu’à de faibles civils, parce que tu es trop peureux pour t’en prendre à des personnes qui peuvent te répondre. Tu n’es rien. »
Jusqu’à présent subissant la colère de son père la tête basse, le garçon au pelage jaune rayé noir se relève. Ses yeux commencent à s’emplir de colère. Ses poils se hérissent sur tout son corps. Il baisse son corps, se prépare à bondir. Ses yeux sont pleins de haine. Alors que Ryujin s’approche de lui, Uneie s’élance vers le visage du dieu des abysses.
« Roaaar ! »
Il n’a même pas le temps de l’atteindre. Un simple hurlement le propulse à l’autre bout de la pièce, contre le mur.
« Tu n’as aucune personnalité. Tu n’es qu’un brouillard, flou, et dense. Tu n’es qu’un acide, érodant tous les liens qui nous soudent. Non. Tu n’es même pas ça. Tu n’es qu’un reflet, une image, une copie, de ceux qui t’entourent. Tu n’as rien de propre. Toi, tu n’es rien. »
« Hmpf. Et donc ? Qu’est-ce que tu vas faire ? Me bannir du palais ? Ça tombe bien, je reste jamais derrière ces remparts, ils me rendent malades » répond sarcastiquement le garçon.
« Non, tu ne verras plus jamais ces murailles. A compter d’aujourd’hui, tu es à tout jamais banni de mon royaume. Tu es condamné à errer sans but à l’extérieur de la montagne pour toujours. » proclame alors Ryujin. Un léger trémolo se fait ressentir en prononçant ces paroles. « Va-t’en maintenant. »
A ces mots, les pupilles du jeune sire se dilatent. Banni ? Banni ? Qu'est-ce que cela signifie ? Il lui faut un certain temps avant de réaliser ce qui lui arrive. Et à ce moment, un aura d'un noir des plus profonds commence à émaner de lui. Ses poils se hérissent, ses griffes marquent le sol, ses crocs dépassent de sa gueule. Ryujin lui tourne le dos et se dirige vers une porte située derrière le trône. Uneie avance sa patte droite vers le roi. Il tourne la tête vers son fils.
« Va-t'en ! » La voix claire et puissante de Ryujin retentit dans tout le palais. Une onde psychique traverse toute la pièce et fend les coraux et les cristaux. L'expression sur son visage reflète la colère la plus forte qu'une personne puisse exprimer.
Le jeune homme à la fourrure dorée se retourne et sors de la salle, traînant avec lui son aura macabre.
⁂
« Tu as pris la bonne décision » s’exprime une puissante voix énigmatique derrière le trône d’argent.
« En es-tu vraiment sûr ? » répond Ryujin, dubitatif et inquiet.
« Nous lui avons mis toutes les cartes en main. Seul lui peut maintenant décider de sa vie »
« Puisse Lui lui accorder une chance »
« Aie confiance Ryujin, aie confiance, Il ne se trompe jamais »
⁂
Encore une fois, la tranquillité de la caverne est troublée. De quelques kilomètres au nord de Kessho, dans un repli sombre de la caverne, une atmosphère sombre émane. Seuls quelques cristaux çà et là permettent de distinguer les personnes rassemblés dans ce lieu, toutes collées les unes aux autres, faces contre terre, comme s’ils avaient…
« GROOOOOARRR ! »
L’antre s’illumine soudainement d’une puissante lumière jaune-orangée. Des flammes se propagent, chatouillant les parois, asséchant l’humidité ambiante. Puis, plus rien. Les flammes s’évanouissent, la lumière vive cède sa place à des tons plus sombres, l’antre s’éteint.
« Il croit qu’il peut se débarrasser de moi comme ça ? Moi, son fils ! Jamais je ne partirai d’ici ! » s’écrie le garçon au pelage jaune, empli de colère.
« Mais, qu’est-ce que tu comptes faire ? On ne peut pas s’opposer à lui, personne ne le peut, U– »
A ces mots, le jeune homme parlant s’arrêta. Devant lui se tenait le dit fils de Ryujin, ses yeux gris-noir brillaient d’une telle force qu’ils luisaient dans l’obscurité ambiante. Il agrippa le jeune garçon à terre, et le souleva. Tous les autres regardaient la scène, les yeux grands ouverts, le visage pâle et le corps tremblant. Un silence pesant assourdissait l’antre. Aucun bruit. Aucun. Pendant quelques secondes, le garçon de sang royal regarda la personne en face de lui dans les yeux. Ces secondes durèrent plusieurs minutes pour tous ceux qui étaient autour.
De la lumière, encore. Une gerbe de petites flammèches se propagea. Tout le monde fut abasourdi par ce qu’ils venaient de voir.
Le fils de Ryujin lâcha son comparse par terre. Aussitôt, les autres autour accoururent pour vérifier son état. Le garçon doré s’exprima alors :
« Nous allons attaquer Kessho. Regroupez-vous autour de moi, je vais vous expliquer le plan. »
Dans toute la grotte, une ambiance malveillante se fit sentir.
Faces contre terre, toutes collées les unes contre les autres, plusieurs personnes sont rassemblées dans un antre. On ne peut les distinguer, tous les cristaux se sont éteints. Une atmosphère sombre émane d'un petit coin de la caverne, situé quelques kilomètres au nord de Kessho, la plus grande ville de la grotte. La tranquillité de la caverne va être troublée.
⁂
Kessho, la ville aux cristaux. Le joyau de la grotte. C’était une grande ville, la plus grande de toute la grotte, célèbre pour ses illuminations. Une ville dynamique, où tout le monde s’affaire de jour comme de nuit. De par son emplacement stratégique entre les différents points de passages majeurs de la grotte, et sa proximité au palais de Ryujin, Kessho était un haut lieu de commerce, abritant des marchés important toute sorte de produits des quatre coins du monde extérieur, des bijoux, des épices, des pierres précieuses et tout ce qui pouvait s’acheter où se vendre se trouvait là-bas.
Mais bien plus que tout ça, le produit phare de Kessho était bien évidemment ses cristaux. Massivement utilisé dans l’architecture de la ville pour les bâtiments, l’éclairage, et toute construction dans laquelle on pouvait en caser, le cristal de Kessho était mondialement connu pour ses qualités esthétiques. Sa finesse, sa pureté, sa couleur, en faisait le matériau rêvé pour les artistes. Des pièces monumentales étaient utilisées par des sculpteurs pour ériger de gigantesques statues à la gloire d’un lointain souverain. Réduite en poudre, la poussière de Sendo était utilisée par les peintres afin de créer des mélanges de couleurs saisissants. Enfin, les bijoux taillés dans les cristaux s’arrachaient à prix d’or par tous.
Touristes, marchants, et artistes faisaient parfois plusieurs milliers de kilomètres pour ne serait-ce qu’avoir la chance de voir la capitale mondiale des arts, la ville-lumière, la cité sous la montagne.
Mais cette nuit, les cristaux étaient ternes. Comme à son habitude, malgré l’heure avancée, la ville était encore très active. Les gens vaquaient à leurs occupations, sans se soucier de ce qui se passait autour d’eux. Cependant, çà et là, quelques groupes de personnes discutaient de cette nuit anormalement sombre.
Il ne fallut pas attendre longtemps pour que celle-ci s’illumine.
En haut d’une colline adjacente, une horde de cristaux anthracite brille. Les cristaux se déplacent dans l’obscurité, comme des billes qui roulent le long d’une pente. Qui roulent. Qui roulent. Qui roulent.
Et la lumière jaillit.
C’est alors que, depuis le nord de la ville, un formidable mur de flammes jaillit soudainement. Sur son trajet se trouve l’allée principale de Kessho. Les passants, interloqués, se tournent alors en direction de cette nouvelle source de lumière. Leurs esprits se vident. Aboiements, rugissements, hurlements, grincements, toutes formes de cris se font entendre alors que la panique se propage. A cela se rajoute les bruits de pas des personnes se hâtant pour échapper aux flammes. Des gens tombent, d'autres pleurent. Tout le monde se bouscule dans un vacarme assourdissant. Ceux qui sont à terre sont piétinés. On n'aide pas les gens à se relever. Les enfants sont traînés par leurs parents. S'ils lâchent, alors ils seront lâchés. Les souvenirs d'une vie passé, d'une enfance heureuse tombent au sol, sans le moindre espoir d'être récupérés. Les étals sont laissés à l'abandon, peu importe si des appareils fonctionnent encore. Au milieu de cette masse, des enfants pleurent, mais personne ne pourra rien faire pour eux.
Au loin, des roues de feu transpercent le mur enflammé et se ruent sur les civils cherchant à fuir. Il ne leur faut que quelques secondes pour les rattraper et les mettre à terre. Quelques habitants, interloqués par les bruits, sortent de chez eux pour observer ce qui se passe dehors. Des crocs enflammés fondent sur eux sans crier gare. Ils n’ont même pas le temps de rentrer chez eux.
Au fur et à mesure que la nuit progresse, le bruit s’évapore, laissant place au son du silence. Kessho brille de mille feux. On cherche, on flaire, on traque ; des béliers enfoncent les rares bâtiments encore fermés. De courageux civils se défendant, les forces de l’ordre, la garde royale… Mais voilà le résultat. Le silence.
Seules des billes couleur anthracite bougent encore dans la ville désolée et incendiée.
⁂
Mais l’horreur n’est pas encore arrivée. Au loin, une silhouette blanche et bleu commence à apparaître, rasant l’horizon. Avec celle-ci, la Terreur. Dans son sillage, un galop se fait entendre. En quelques fractions de secondes, Terreur et Espoir s’abattent sur Kessho. C’est comme si la Lune se posait sur la ville, entraînant avec elle des marées et des tempêtes destructrices. La pluie danse au-dessus des ruines, éteignant rapidement les flammes qui embrasaient la cité.
Avant même de pouvoir réfléchir, les billes se trouvent complètement piégées par un feu infernal. Il en faudrait bien plus pour venir à bout d’eux !, pensent-ils, confiant. Et bien plus il y eu. Aussitôt sortis du piège de flammes, un véritable boutefeu d’une puissance inédite entraîne une formidable déflagration dont la cible ne fait aucun doute. Une Furie s’abat sur eux. Sa rapidité est telle qu’aucun n’arrive à la suivre, n’apercevant que la myriade d’étincelles ardentes laissées au passage de sa crinière de feu. Elle ne prend pas la peine d’apparaître à leurs yeux.
A l’écart de ce groupe, l’œil du cyclone. La calme avant la tempête.
« Alors vous êtes venus » s’exprime l’enfant au pelage jaune.
Mais il n’obtint pour seule réponse que le plissement des yeux noirs de son interlocuteur. L’air ambiant s’humidifie au fur et à mesure que la tension grandit. Le vent souffle de plus en plus fort, comme attiré par le roi sous la montagne. Il tourbillonne autour de lui. De plus en plus fort. De plus en plus vite. Ses immenses pouvoirs psychiques écrasent l’atmosphère environnante. Aucune personne normale ne pourrait se tenir encore debout face à tant de pression.
Mais ce garçon le pouvait. Bien au contraire d’être apeuré ou terrifié face à ce colosse de plus de cinq mètres, la rage grandissait en lui. Ses griffes étaient si aiguisées qu’elles rayeraient du diamant, ses canines suffisamment pointues pour transpercer les armures les plus solides. Et son regard. Accumulant en lui toute la haine qu’il avait, ses pupilles étaient réduites à deux minuscules points gris foncés. Sa fourrure se hérissait sur l’ensemble de son corps, de la queue au visage. Son corps se préparait à recevoir les chocs les plus violents de toute sa vie.
La Lune et son fils. Un calme comme la nuit au dehors. Un calme des plus tranquilles. Un calme des plus paisibles, comme la ville autour.
« Réponds-m… ! »
Avant même qu’il n’ait pu finir sa phrase, un puissant vortex d’air est violemment propulsé vers Uneie. Il se fait heurter de plein fouet et traverse une, deux, quatre maisons qui étaient encore restées debout avant de s’écraser contre le mur d’une cinquième.
Personne ne bat le roi sous la montagne.
Sauf peut-être son fils, qui se relève tant bien que mal du choc. Aussitôt remis sur pattes, Uneie se hâte le plus vite possible vers son père afin de le prendre par surprise, mais Ryujin est plus rapide et violent que le grain blanc. Il ne laisse pas le temps à son fils de se placer et d’un large battement d’ailes produit un cyclone d’une force inouïe, qui l'envoie de nouveau valser dans les airs. Le jeune garçon en profite pour s’entourer d’électricité et se propulser vers le roi, qui ne peut esquiver le coup. Une fois au contact, il ouvre grand sa mâchoire et plante directement ses crocs dans le dos de Ryujin. On entend le roi gémir. Un cri si horrible qu’il tourmente à jamais la mémoire de ceux qui l’écoute. Il plante ses crocs autant de fois qu’il le peu.
Mais Uneie est naïf. Il en faut bien plus pour venir à bout du roi des abysses. Son assurance n’est en rien entamée. D’un agile mouvement, il se débarrasse du misérable lâche qui attaque son dos et le renvoie à terre. Il se pose sur le sol pour soigner ses plaies et en profite pour charger directement Uneie. Celui-ci essaye désespérément de surchauffer l’air environnent pour ralentir Ryujin, mais rien n’y fait. On ne peut arrêter le roi aussi facilement. Alors qu’il arrive au contact, Uneie baisse sa garde afin de d’attaquer son père de toutes ses forces. Grave erreur. Ryujin s’élève soudainement en l’air, esquive l’attaque de son fils et lui envoie un rayon gelé à bout touchant.
C’est fini. Uneie est instantanément paralysé par la glace. Le roi prend le bloc de glace dans sa gueule, et le jette haut en l’air. Il lève la tête vers le bloc contenant son fils, et attend que celui-ci retombe. Il charge de l’énergie autour de sa gueule. Le bloc tombe. Il continue à se charger. Le bloc continue de tomber. Une fois arrivé presqu’au contact de son père, Uneie s’extirpe de la glace, et dans une dernière tentative, déchaîne sa colère sur le roi. Le bloc de glace aurait peut-être pu le protéger un petit peu.
Un puissant rayon d’énergie sort de la gueule de Ryujin en ligne droite, atteignant directement son fils. Le rayon est si fort qu’il englobe intégralement le jeune sire. Il est si violent qu’il poursuit sa course jusqu’aux parois de la grotte. Il les transperce sans le moindre problème. Le rayon d’énergie est si monumental qu’il ouvre une paroi dans la montagne. Uneie quant à lui a été éjecté en chemin. Il s’est écrasé contre l’une des colonnes de la grotte. Après avoir repris ses esprits, il regarde autour de lui. Au loin, bien loin, très loin, deux petites billes noires le scrutent.
C’est la Terreur qui l’observe.
La Terreur.
⁂
Une fois encore, la fourrure d’Uneie se hérisse. Mais ce n’est pas de la colère. C’est de la terreur. Celle qu’on ressent lorsqu’on voit ce qui peut mettre fin à nos jours. Celle qu’on perçoit seulement lorsqu’Elle est là, directement sous nos yeux. Celle qu’on observe uniquement lorsqu’il est trop tard.
Ses pattes se mettent à bouger d’elles-mêmes. Son corps se retourne, mais sa tête reste fixée sur les billes sombres au loin. Alors qu’il se dirige vers la sortie de la grotte, un puissant cri se fait entendre, résonnant dans toute la grotte. On ne peut discerner d’où il provient. D’en haut ? D’en bas ? De l’autre côté de la grotte ? Ou alors, de juste derrière ses oreilles ?
Deux gigantesques billes noires le fixe, obstruant tout le champ de vision. Prêtes à s’abattre sur lui à tout instant. Juste au-dessus de sa tête.
L’extérieur de la grotte est baignée par la lueur de la lune. Au moins, celle-ci est inoffensive. Le monde serait bien sombre sans cette source de lumière.
Des tâches vertes et marron viennent obstruer son passage, mais on discerne quand même le ciel étoilé derrière elles. Au-dessus, c’est la pleine lune. Légèrement à sa droite, Spica se remarque difficilement, tant la lumière de l’astre rayonne. Le soleil de la nuit illumine le monde de sa douce et mystérieuse lumière. A cette période de l’année, les premières étoiles de la constellation du Bélier commencent à apparaître dans le ciel lorsque le soleil se lève. Le Shunbun, la journée où la nuit laisse la place au jour.
Les cèdres centenaires de la forêt donnent un aspect sacré à la scène. Un temple à l’atmosphère paisible, à l’ambiance tranquillisante, seulement perturbé de temps en temps par le souffle du vent dans les feuilles. Leurs troncs si massifs retiennent la terre, ralentissent et affaiblissent les catastrophes. Ils servent de lieux de rencontre et de vie pour de nombreuses personnes. D’ailleurs, tout le monde dort paisiblement sur leurs branches ou entre leurs feuilles. La Lune et la Terreur sont loin derrière, ils n’appartiennent pas à ce monde.
Ici, seule une confortable lumière blanchâtre brille dans le ciel.
⁂
« Tu comptes observer les étoiles encore longtemps ? » dit une voix puissante juste derrière le jeune garçon, sursautant à cause de la surprise.
« Qui… Qui êtes-vous ? » répond-il en se retournant d’un seul bloc. Mais il ne voit personne devant lui, juste l’antre sombre de la grotte.
« En haut. » énonce la voix inconnue.
Levant la tête, le jeune garçon à la fourrure dorée aperçoit finalement celui qui lui parle. Se tenant sur un nuage, une personne colossale à la peau orangée se dresse au-dessus de lui. Il n’est pas spécialement grand, mais sa carrure est imposante. Sur sa peau, des petites tâches plus foncées dessinent des symboles, dont certains ressemblent à des magatamas. Son visage est plutôt triangulaire, avec une moustache blanche pointue constituée de quatre épis orientés vers le bas, de deux yeux jaune à l’iris blanche, et de trois cornes au sommet de son crâne. A l’arrière de celui-ci se trouve une sorte de maillet blanc encore plus grand que sa tête. De son nuage sort une queue marron massive, avec des plaques circulaires rouge çà et là.
« Je suis Inari. Mais c’est très mal élevé de demander à quelqu’un son identité sans se présenter soi-même. »
Inari. Inari ? Ce nom lui évoque étrangement quelque chose, comme s’il l’avait déjà entendu auparavant. Au palais peut-être ?
« Je m’appelle U– » commence le jeune garçon, alors qu’il reprend soudainement ses esprits, et la personnalité haineuse qui va avec. « Ça ne te regarde pas ! » termine-t-il d’une voix forte mais chevrotante.
« Oh, ce regard. » répond Inari, complètement flegmatique. « Enfin, ce n’est pas grave, je sais déjà qui tu es. »
« Comment ? »
Ignorant complètement la remarque du jeune garçon maintenant déboussolé, Inari continue de dire de sa voix puissante : « Tu ne m’as pas l’air d’avoir envie de retourner dans cette montagne de sitôt. »
« En quoi ça te regarde ? Je fais ce que je veux. »
« Ah ? Toi qui a toujours été habitué à être nourri et à vivre une vie aisée, tu peux me dire comment tu vas te débrouiller tout seul dans le monde extérieur ? » répond Inari, toujours flegmatique.
« Je saurais me débrouiller ! »
« Ici ce n’est pas la ville, il n’y a pas de civils. Tout le monde sait se battre, et si tu t’en prends à une seule personne, tout le monde te tombera dessus. »
« Va-t’en ! » réplique le jeune garçon, commençant à montrer les crocs.
« Soit. Je m’en vais. Il y a une ville au sud-ouest d’ici à environ six heures de marche. Elle s’appelle Enju. C’est une ville assez grande, reconnaissable à ses sophoras et sa teinte rouge profonde. Je te conseille d’y aller, parce qu’ici, tu ne feras pas… long feu. » visiblement satisfait de son jeu de mots, Inari s’élève dans les cieux et s’en va en direction de l’est.
Uneie lance une gerbe de flammes à sa poursuite, avec ces mêmes yeux remplis de susceptibilité, mais comme tout le reste, ce n’est d’aucun effet sur Inari, qui n’y prête même pas attention.
Grommelant à voix basse, il se retourne pour faire dos à la montagne. Le choix est vite pris, le seul chemin praticable se dirige vers le sud-ouest.
Et ainsi il commence à s’avancer sur la route faisant dos à la lune.
Derrière lui, la montagne se fait de plus en plus petite.