Hahaha. Bonjour ou bonsoir chers lecteurs à moins qu'ils ne soient mauvais. J'espère qu'il fait noir autour de vous car l'ombre arrive dans les prochaines lignes. Hahaha
Où en étais-je encore ? Ah oui ! Chez ses grands-parents ! Donc, Lancio attendait avec impatience son nouvel ami. Lui qui admirait son ancêtre car il avait beaucoup voyagé et aussi parce qu'il était doué en combat...
Après s'être relevé de son lit, le garçon avait pris l'habitude, avant de se rendre à son travail à la taverne, d'aller à la grange pour nourrir les Wattouat et les Lainergie attendant avec impatience leurs aliments. Bien que Lancio avait quatorze ans, il possédait un bon contact avec ces créatures. Son caractère plaisait aussi à tous. En général, il débordait de joie et la transmettait à son entourage. Il aimait prendre un cerceau, appeler des amis et faire rouler avec un bâton le grand anneau sur les sentiers en pente. Son visage rond traduisait bien le bonheur qu'il ressentait chaque jour. Ses goûts n'étaient pas très compliqués non-plus. Il se réjouissait des simples bonheurs de la vie. Par contre, lui parler d'amour et de beauté était malédiction à son égard. S'il y avait bien une chose qu'il haïssait, c'était bien l'envie d'unir sa vie à quelqu'un d'autre. Pourtant, les jeunes paysannes le trouvaient beau et il y avait de quoi. Les cheveux bleus du jeune attiraient par leur étrange couleur toutes les demoiselles à l'extérieur. Même tôt le matin, à l'heure où Lancio se levait, il y avait des donzelles qui se réveillaient et s'habillaient juste pour l'admirer et avoir une chance de se faire remarquer. Aussi, les yeux mystiques violets du gamin, reflets de son intelligence, avaient été causes de nombreuses disputes féminines au sein du village. Même l'église du bourg avait longtemps controversé à ce sujet. Au fil de la vie de Lancio, les iris du garçon n'avaient cessé de changer de coloris. En effet, lorsqu'il naquit ils étaient gris comme la plupart des nourrissons. Puis, enfant, ils virèrent à un bleu très foncé tel les abysses d'un océan. Vers ses trois-mille soleils, ses yeux devinrent mauves foncés pour qu'à nos jours ils fussent violets clairs. Jamais un enfant n'avait autant changé de couleur d'yeux. Un soir même, un prêtre du village s'était rendu seul chez le garçon pour lui demander s'il ne voyait pas des choses bizarres et s’il avait déjà entendu des voix parler dans sa tête. Le gamin déclara que non mais le religieux n'en crut mot et revint le capturer quelques nuits après. On retrouva le kidnappé attaché à une chaise devant laquelle se tenait le prêtre en train d'exorciser d'on ne sut quoi Lancio. Ensuite, après quelques examens de démonologie, on remarqua qu'aucun démon ne possédait le gamin et qu'il pouvait repartir. Le religieux qui l'avait enlevé fut jugé par le conseil de l'église et il se trouva pendu le jour suivant pour arrestation arbitraire non-autorisée. On exila son Pokémon...
Hahaha. Quelle histoire magnifique ! J'en pleure de rire. Hahaha. Je sais ce que vous devez vous dire: "Arrête de tourner autour du pot et viens en aux faits". C'est compris, j'en viens aux faits. Hihihi. Rejoignons le garçon le soir avant la rencontre avec son Pokémon...
Lentement, le soleil se noyait sous la mer visible au loin du village. Le ciel était d'un orange doux et se décorait de quelques amas cotonneux reflétant en une couleur plus rosâtre la lumière de l'astre couchant. Baigné sous un de ces rayons, Lancio nettoyait les tables de la taverne une par une. Il travaillait là-bas pour obtenir un peu d'argent afin de s'acheter quelques friandises lorsqu'une envie de sucre se ferait sentir. Il était muni d'un simple torchon et de sa salive, l'eau ne lui étant pas accordée pour accomplir sa corvée. Il enlevait les minuscules napperons tous tachés par les manières peu convenables de manger des villageois pour ensuite cracher et frotter toute sa bave sur les tables qui petit à petit redevenaient comme neuves. Heureusement, une jeune fille nommée Marina l'aidait à essuyer les saletés. Elle était une serveuse de la taverne, très jeune, à peine plus vieille que Lancio. Tous deux s'entendaient bien mais aucun n'éprouvait de sentiment pour l'autre. Ils étaient simplement amis. Le grand-père de Lancio aurait voulu qu'ils se mariassent mais en vain et pourtant il avait tout essayé pour permettre à son petit-fils d'épouser Marina. Certes, la jeune fille n'avait pas un des meilleurs métiers mais s'occuper de quelqu'un dont elle était amoureuse aurait été une réussite pour elle. Du moins, aux yeux de l'ancêtre. De plus, elle n'était pas déplaisante à admirer. Une longue toison rousse découlait de sa tête comme un torrent de feu. Ses yeux étaient d'un vert clair apaisant au milieu desquels explosait une nébuleuse marron clair que l'on ne voit que pendant cette saison d’automne. Ses fines mains blanches brillaient à la lumière comme recouvertes par une poussière de diamant. Sa silhouette se dessinait joliment autant à travers le brouillard que le soleil. Elle vêtait son corps aux formes généreuses de robes colorées. Sa préférée était de couleur blanche et renvoyait des reflets verts pâles. Elle nouait ce vêtement avec une ceinture magenta foncé en une matière douce. Elle couplait le tout à de petites ballerines cyan et couronnait sa tête d'un large chapeau aux nuances de l'herbe d'été. Marina aimait porter cette tenue lors des jours saints de l'Église ou lors de grandes fêtes ou de fameux événements. Mais en ces temps, elle portait une robe en toile de jute ceinte par une simple ficelle sous un tablier décoloré et des espèces d’épaisses chaussettes gorgées de boue qui lui servaient à la marche. La serveuse n'était pas du genre à être riche mais elle faisait partie des bourgeois du village. Du moins, elle appartenait à l'une des familles les plus notoires du bourg. Par ailleurs, on ne comprenait pas pourquoi elle s'habillait de hardes piteuses pour aller travailler. Elle possédait pourtant pas mal de jolies pièces de tissus provenant directement de quelques villes environnantes et rapportées par quelques parents éloignés lui rendant rarement visite. Lorsqu'on le lui faisait remarquer elle riait et déclarait qu'elle se vêtait aussi pauvrement uniquement pour ne pas salir ses autres beaux habits lors des nettoyages.
Hahahaha. Et dire qu'ils n'ont aucun sentiment pour l'autre. Hahahaha. Lancio est décevant… Laisser passer une si jolie fille… Hahahaha. C’est un gâchis… Mais bon, ne nous attardons pas sur ce détail décevant. Revenons à la tâche que Marina et Lancio doivent accomplir…
Même si le travail était long, le garçon et la serveuse auraient bientôt fini de nettoyer la taverne car en plus de devoir frotter le mobilier, ils devaient aussi s'en prendre au sol. Le jeune homme prit un vieux balai rugueux qui traînait et commença à faire voler les poussières dans la taverne. Marina arracha un seau à un placard, le remplit d'un fond d'eau et y plongea un torchon. Lorsque le tissu fut bien mouillé, elle l’essora entre ses mains puis s'abaissa pour frotter le sol. La difficulté était de mise. Le parterre ne pouvait pas être récupéré tellement la saleté s'incrustait dans le plancher qu'il fallait changer. Tout ce que la jouvencelle arrivait à effectuer consistait à retirer la couche noirâtre actuelle sur le bois. Et malgré le passage du torchon mouillé, le plancher se colorait encore en sombre. On avait même l'impression que le sol se noircissait encore plus. Lancio, de son côté, ramassait quelques détritus de clients peu respectueux des lieux. En même temps, le jeunot vivait dans un village qui n'était pas un grand exemple de faste et d’élégance. Et pour preuve, les ruelles s'assombrissaient et s’encrassaient à mesure que l'on progressait dedans. La cause de cette absence de lumière dans les axes principaux venait du fait que les façades s'agençaient en encorbellements pour la plupart. Les paysans un peu plus bourgeois comme les rares marchands avaient réussi à se retirer vers le haut de la colline dans des maisons en colombage. Ils profitaient de plus de luminosité et d'une vue sur la mer mais leurs habitations étaient collées les unes contre les autres augmentant le risque qu'un incendie prît et se répandît dans tout le voisinage. La peur d'allumer un feu dans les foyers des demeures se faisaient sentir mais il fallait bien faire brûler du bois pour pouvoir manger de la nourriture. Pour ce faire, les commerçants de la contrée gagnaient leur argent dans les grandes villes et achetaient de quoi vivre dans les marchés dans lesquels ils participaient aux ventes comme aux dépenses. La plupart des aisés du village de Lancio étaient, certes, marchands mais surtout des artisans teinturiers. Ils s’étaient retirés dans un trou oublié pour pouvoir exercer leur métier tranquillement, les grandes cités voyant ce travail comme sale et malsain. Par exemple, tout le monde savait d'où venait le jaune des vêtements. C'était l'urine qu'il fallait remercier pour cette teinte. La crainte et les repousses des citadins pouvaient se comprendre. Après tout, on ne savait pas d'où venait la couleur rouge. Heureusement, il ne restait que peu de teinturiers qui utilisaient l'urine comme matériau. La majorité des citadins préféraient aller chez le couturier et choisir différentes laines ou d’autres tissus végétaux pour leurs vêtements. Leurs habits en étaient d'ailleurs plus vifs dans leurs tons et colorés. Seulement dans le village de Lancio, on s'habillait avec ce qui passait. Les villageois achetaient à un prix peu convenable des vêtements dont la puanteur des liquides suintant était désagréable. Les paysans ne prenant pas compte de leur odeur corporelle, portaient plusieurs jours ou semaines d'affilé leurs accoutrements nauséabonds. De cette cause, le village avait subi pas moins de quatre à cinq vagues d'épidémies sans compter le nombre interminable de malades pendant l'année. Nul ne sut d'où toutes les pestilences venaient mais la majorité des personnes affectées transpiraient de paranoïa en déclarant voir la mort que les divins auraient souhaitée sur les humains. En général, ces fous se guérissaient et leur délire se neutralisait pour revenir au moment où leur vrai décès les toucherait. L'église du village était la seule institution qui s'occupait de la médecine. En inculquant quelques herbes médicinales et quelques prières, les prêtres arrivaient à soigner chaque fiévreux. Les religieux allaient même plus loin en psalmodiant détruire le mal par les sanctions divines. Habituellement, en période d’épidémie, il y avait au moins trois pendus déclarés pécheurs devant les divins par l'église. L’institution ecclésiastique en elle-même ne voyait pas que sacrifier un ou deux villageois au comportement suspect s'avérait inutile. Cela dit, les prêtres donnaient d’excellents discours et savaient préparer des autels avec minutie. Le bâtiment dans lequel les religieux montraient le chemin de la bienveillance se délabrait de jour en jour. L'église du village était toute petite mais rustique. Des briques rouges et jaunes l'élevaient vers le ciel. Les plus claires d'entre elles se décomposaient en grains de poussière lorsqu'on les touchait. Dans une pièce cachée du lieu se trouvait une immense cloche qui sonnait toutes les quatre heures. Le carillon devait sûrement se trouver dans les hauteurs de l'endroit saint. En fait, pour que le son du glas se fasse entendre par tous les villageois, l’église avait préféré se placer juste au milieu du bourg. Les aumôniers déclamaient leurs sermons toutes les sept lunes. Ils organisaient des cultes le crépuscule du septième jour venu et réunissaient leur paroisse dans leur vieux bâtiment pour tenter de renseigner quelques incrédules au sujet de l'au-delà. Lancio allait à ses messes très rarement. Du moins, il y allait souvent de corps mais pas d'esprit. En général, comme il ne comprenait rien de ce que disaient les orateurs, il se perdait toujours dans ses pensées. Une fois, il s'imaginait dans la peau d'un héros solitaire comme ceux qu'il a l'habitude de lire dans ses livres tandis qu'une autre fois, il comptait les ressources pour l'hiver sans les avoir devant lui. Une fois même, il pensa à ses journées. En général, il les passait chez ses grands-parents mais souvent, il allait aider Marina à la taverne.
Hahahahaha. Je tourne en rond là ! Si ça continuait, j'aurais encore décrit cette Marina. Je ne sais pas ce que vous pensez du village de Lancio mais je l'aime bien. Un beau bourg dont une bonne partie se couche en bord de mer et dont l'autre partie se lève en colline. Hahahaha. Maintenant, il ne reste plus qu'à combiner cela avec ses habitants si… sulfureux ! Par ailleurs, les humains là-bas vivaient certes en harmonie avec leurs Pokémon mais le nombre de ces créatures était limité. Peu de villageois en possédaient. Ils n'étaient pas intéressés dans l'élevage et beaucoup ne souhaitaient pas en faire leurs créatures de compagnie. Oui, certains grands dresseurs s'étaient réfugié dans ce village. Notamment le grand-père de Lancio. Mais en général, on se retirait là-bas pour se faire oublier, passer le flambeau à la nouvelle génération de dresseurs… Hahahaha. Je m'égare encore ! Reprenons en là où nous avions quitté Lancio…
Le balai dansait entre les mains du jeune garçon. Marina avait presque terminé sa tâche abominable. Bientôt, la taverne allait rouvrir ses portes. De fait, le lieu pouvait être fréquenté tous les jours uniquement à l'aube, au zénith du soleil et au crépuscule annonçant la nuit. L'astre rayonnant se perdait de plus en plus sous les vagues de la mer. Peu à peu, des nuages prenaient la place au ciel. La plupart doux et cotonneux admettaient de petits et lointains amas noirs chargés de foudre. Une soirée qui s'annoncerait calme pensa Lancio.
Le nettoyage enfin achevé, ils dressèrent les tables et lavèrent les derniers couverts et chopes sales. Après quoi, ils prirent tous deux une chaise et commencèrent à discuter :
« Dis-moi, Lancio, commença Marina. Je ne t'ai jamais demandé pourquoi tu travailles ici.
-Si je travailles ici, c'est uniquement pour m'accorder quelques plaisirs, répondit l'interrogé.
-Ah bon ? Quelle genre de plaisir ? renchérit la jeune paysanne, un air taquin sur le visage.
-Oh... Pas grand-chose. En général, j'utilise mon argent pour des friandises ou d'autres choses banales. Mais j'aide aussi mes grands-parents à payer leurs dettes, expliqua le gaillard. Et toi ? Que comptes-tu faire avec cet argent ?
-Moi ? Avant tout, je vais l'utiliser pour me tirer d'ici. Non seulement, ma famille commence à collectionner les taxes mais en plus ce village est pourri et oublié. Et puis, j'en ai marre de devoir accomplir des corvées ridicules, révéla Marina sur un ton rebelle.
-Et où vas-tu aller ?
-J'ai ma petite idée... Je veux, avant tout, être indépendante comme un Chaglam et pouvoir satisfaire tous mes désirs à la façon des Miaouss rusés. Et surtout, voyager sans fin, finit par déclamer la rêveuse sur un air onirique.
-Et comment tu vas t'y prendre ? questionna l'autre de plus en plus intéressé.
-Je ne sais pas, avoua la demoiselle. L'argent que je récolte est mis de côté uniquement pour mon voyage. Je n'ai pas pensé à la suite ni vraiment au début. »
Lancio fit une mine embarrassée puis, il commença à sourire. Cette grimace provenait de ses pensées encore tournées vers les livres écrits par son grand-père. Dans l'un d'entre eux, ''Vogue en Mer'', l'ancêtre, jeune à ces moments, avait été capturé par des pirates traversant les océans pour piller les ports et les grandes villes. Dans le bouquin, l'aventurier avait réussi à se faire accepter des pirates et avait même pris part à quelques pillages légers. Cependant, tout s'arrêta lorsque le capitaine égorgea un de ses subalternes pour une cause d'argent. Depuis cet acte, il y eut plusieurs mutineries dont certaines étaient menées par le parent de Lancio, ainsi que beaucoup de retraits de la part de l'équipage. Seuls le capitaine et quelques fidèles continuèrent à voguer en mer. Ils maintinrent leurs habitudes de pillage. Mais la situation dégénéra. Bientôt, le manque de matelots se fit sentir si bien que le capitaine et ses derniers marins durent se retirer alors qu'ils étaient en train de voler les richesses d'une ville au bord de l'Océan d'Argile. De plus en plus, ils virent leurs projets défaits. Déçus, haineux, remplis de rancœur et de colère pour les mutins passés, ils voulurent mourir en dignité de pirate. Ils voguèrent sur la Mer de la Perdition, loin des côtes, et s'évaporèrent dans la brume. On ne les revit plus. Ces marins devinrent ensuite sujets de légendes dans lesquelles ils auraient noyé leur navire et auraient trouvé la mort dans l'eau. Depuis, il fut dit que leurs fantômes hanteraient les courants à la recherche de ceux qui les avaient trahis. Ce souvenir descendit en un mot sur la langue de Lancio :
« Pirate ! Deviens pirate ! Cria-t-il.
-De quoi tu parles ? s'étonna Marina. Je n'ai pas envie de devenir pirate. Ils sont nonchalants et dégoûtants, encore pire que les hommes qui viennent dans cette taverne. Puis, ils sont tous accrochés les uns aux autres. Je ne suis vraiment pas dans le même état d'esprit.
-Pourtant, ils sont indépendants et obtiennent quasiment tout ce qu'ils désirent, ajouta le jeune garçon sur un ton malicieux.
-Tu n'as pas tort sur ce point. Je vais y réfléchir. Ce que tu dis n'est pas complètement fou. Mais, tu... »
Marina dût s'interrompre. En un fracas bruyant, la porte s'était ouverte. Les linteaux encadraient une énorme silhouette au ventre rond. Un homme vêtu d'un tablier et d'un étrange chapeau à la forme d'une courge entra. Marina et Lancio accueillirent le visiteur en l'appelant ''patron''. Ils tirèrent une chaise et le firent s'installer. Il écrasa toute sa masse sur le pauvre bois du siège. Il se tint le visage d'une main, un coude sur la table, et utilisa l'autre pour essuyer son front en sueur. Puis, il frotta ses yeux bleus minuscules et adopta une position convenable. Il confia son couvre-chef à Marina qui le déposa sur le comptoir et commença une brève inspection des lieux en étant assis. Ses mirettes se baladèrent à gauche et à droite. Il ne voyait pas de grandes saletés. Rassuré, il souffla de satisfaction et fit bouger ses lèvres charnues sous son épaisse moustache brunâtre :
« Vous avez bien travaillé, commença-t-il. Êtes-vous prêts pour ce soir ?
-Comme toujours, patron, répondirent Marina et Lancio en chœur.
-Fort bien... »
Lancio, se rappelant qu'il devait récupérer son premier Pokémon pendant la soirée, demanda :
« Monsieur Brob, y aurait-il moyen que je parte plus tôt aujourd'hui ? Je dois aller rejoindre les mages pour qu'ils me donnent un compagnon.
-Hmmm..., réfléchit le patron en caressant sa moustache, c'est d'accord mais ce sera retenu sur ton salaire de ce soir.
-Aucun problème, finit par acquiescer le jeune travailleur un peu déçu de voir sa paye diminuer.
-Allez ! Soufflez un coup, conseilla Brob. Vous aurez besoin d'énergie pour accueillir les clients. Et allez vous habiller un peu mieux que ça ! Je sais que les hommes de ce village sont sales mais ce n'est pas une raison pour les imiter ou leur faire remarquer. »
Brob était un homme très spécial. Auparavant, il vivait dans une assez grande ville et y avait ouvert un commerce. Il y vendait avant tout de la viande mais parfois, il recevait aussi du pain et des créatures de mer. Presque toutes les semaines, il ouvrait son échoppe au moins cinq fois et marchandait avec les passants. Il leur proposait beaucoup de ses meilleurs morceaux de carne qu'il transportait dans d'énormes tonneaux remplis de sel. Certaines fois, il arrivait à récupérer assez d'argent pour se permettre de manger comme un seigneur pendant deux semaines. D'autres, il se contentait de grignoter sa propre marchandise pour subvenir à sa faim quotidienne. Mais ces jours étaient plus rares. Ses clients principaux, les cuisiniers et serviteurs de personnes riches et importantes, venaient nombreux acheter quelques mets charnus pour leurs maîtres. Voilà le fonctionnement de l'ancien commerce de Brob. Malheureusement, une crise arriva dans la région et la ville où habitait le patron de Marina et Lancio fut touché par de longues vagues de famine. La nourriture étant devenue trop chère, les habitants n'achetaient qu'un minimum de blé et les hauts placés évitaient de consommer trop de viande pour tenter d'économiser. Plus personne ne vint acheter de denrée à Brob. Ce fut ainsi que le pauvre éleveur, ruiné, dût s'en aller pour fuir la pauvreté. Il abandonna son bétail, emporta ses gros tonneaux de sel et les chargea sur une charrette qu'un malheureux Tiboudet tirait. Il arpenta toute la région à la recherche d'un nouveau lieu de commerce et d'élevage pour tout recommencer comme avant. Mais il ne trouva rien. La majorité des cités étaient touchées par des crises et des vagues de famine et d'épidémie. Désespéré, il se perdit dans des forêts obscures, des chemins impraticables et des marais répugnants. Il se nourrit d'abord de ses dernières ressources, puis partit à la chasse et à la cueillette. Parfois, il avait envie de dévorer son mélancolique Tiboudet mais se rappelait toujours qu'il en avait besoin pour se déplacer et que ce triste quadrupède composait son seul compagnon de voyage. Ce fut dans un état abominable qu'il traversa, un jour, un bois sec puis trouva un petit village en bord de mer. Il y descendit et constata que ses habitants vivaient dans une certaine harmonie et accomplissaient des tâches assez ardues pour vivre. Brob tomba rapidement amoureux du bourg. Malgré la saleté et la puanteur, il s'installa dans une petite aubette après avoir discouru avec les responsables du village, les religieux et les doyens. Il fit rapidement connaissance de chaque habitant, en vit d'anciens partir et de nouveaux s'installer. Il fut même témoin de l'installation de Grands Mages sur les collines surplombant le village. Mais, il lui manquait une chose, la chose pour laquelle il avait tant voyagé : un travail ou du moins un salaire. Il réfléchit longuement pendant près de trois-cent-soixante-cinq soleils. Il ne voyait pas ce qu'il pouvait accomplir. Les villageois ne mangeaient pas de viande car la majorité étaient pauvres et les plus riches se trouvaient un peu plus éloignés. Il y avait déjà un boulanger, un meunier, un aubergiste, des teinturiers qui avaient tous du mal à vivre de leur métier. Il se creusa la tête et puis trouva. En effet, un ancien venait de décéder et il avait laissé tous ces biens dont sa maison au bon vouloir du village dans son testament. Brob eut une idée merveilleuse : Il allait transformer la vieille bâtisse du mort en une grande et spacieuse taverne. Il remarqua, d'ailleurs, qu'il manquait cruellement d'alcool dans le village. Ainsi, il dût parler de son projet aux responsables du bourg qui, malgré quelques réserves, finirent par accepter. Brob se mit donc à la recherche d'alcool et apprit l'art de la distillation pour enfin en arriver à employer de jeunes villageois comme Marina et Lancio.
Hahahahaha. Je me suis encore perdu ! D'abord cette histoire de pirates puis la dure vie de Brob... Je ne suis pas prêt de terminer ! Hahahahahahaha. Mais, je pense qu'il est capital pour vous de bien connaître l'environnement de Lancio. Car, son village est extrêmement important. Souvenez-vous, il abrite un trésor tant convoité ! Hahahahahahahaha.
Marina et Lancio obéirent à leur patron... mais à leur façon. Ils se donnèrent un défi simple : Celui qui arriverait à s'habiller le premier et à revenir le plus vite à la taverne avait gagné une goutte de rhum payée par le salaire du perdant. En franc joueur et sachant que Marina habitait plus loin, Lancio laissa quelques minutes d'avance à son amie après quoi, il dévala les routes à grande vitesse. Il montait, descendait, tournait dans toutes les directions et s'arrêtait quelques moments. Arrivé chez ses grands-parents, il entra presque en défonçant la porte de la chaumière et arracha à la garde-robe de son grand-père quelque élégant vêtement. Il se déshabilla, mit une chemise en lin de son ancêtre, une veste d'un vert de dégoût sans manche et un pantalon en coton avec des sabots conçus par sa grand-mère. Il emporta quand-même ses propres chaussures au cas où il aurait mal aux pieds et, en hâte, se remit à la course vers la taverne. Il courut, pieds nus et sabots en main pour ne pas être encombré. Il montait, descendait, tournait dans toutes les directions et s'arrêtait quelques moments. Il arriva rapidement à l'endroit souhaité et vit que son adversaire n'était pas encore arrivée. Le jeune sauta de joie et reprit son souffle. À lui la goutte de rhum !
Hahahahaha. Voilà un jeu amusant. Je pense le réadapter à ma sauce... Peut-être que le gagnant peut inscrire l'initial de son prénom sur la peau du perdant avec un fer rouge... J' y songe... Hahahahahahahaha.
En attendant Marina et d'éventuels clients, Lancio s'assit sur le perron de la taverne et admira le ciel. Le coucher du soleil était magnifique. Les nuages volaient comme des fées. L'association des couleurs rosée et oranger composaient une fresque céleste merveilleuse, digne des plus grands chefs-d’œuvre... Cependant, le garçon s'indigna face à un amas noir qui tachait cette peinture enchanteresse. La nuée en question semblait énorme et chargé de foudre. Elle voletait au loin mais elle se faisait plus proche du village comme par attraction. Lancio ne s'en enquit pas plus et plongea dans ses pensées. Il tenta de s'imaginer la créature dont il hériterait encore :
« Un Charpenti ? Ils sont utiles à la construction et au combat. Ça ne me déplairait pas... D'ailleurs, je vois beaucoup de Charpenti chez les jeunes dresseurs de ce village. Ou alors un Sucroquin comme le boulanger. Ils sentent bons et possèdent un excellent odorat. Pas de Gloupti comme Brob. J'espère éviter. D'ailleurs, je me demande où Brob l'a trouvé... Un Rozbouton ? Pourquoi pas ? Mais j'aurai du mal à en entraîner un... Je ne sais vraiment pas ce que je veux, finit par sourire le jeune futur dresseur. »
Il tourna son regard vers le sommet de la colline où se trouvait le temple des Mages. En voyant l'édifice aux briques sable, il ne put retenir un rictus joyeux en se disant :
« Peu importe ce que je recevrai. Je promets d'en être à la hauteur ! »
Puis, il se leva, voyant Marina terminer sa course.
Hahahahaha. Personnellement, je me demande sur quelle espèce de monstre déjanté Lancio va tomber. Cependant, il ne faut pas s'attendre à du grandiose. Il suffit de constater l'état dans lequel se trouve le village pour en conclure que peu de grands évènements risqueraient d'arriver. Enfin… Je dis bien “peu”. N'oubliez pas le trésor ! Et puis, avec Lancio, nous ne sommes jamais au bout de nos surprises… Hahahahaha.
Le glas de l'église sonna les vingt-et-une heures. Les portes de la taverne s'ouvrirent violemment. Marina et Lancio commençaient à accueillir quelques clients notamment les habitués qui demandaient une bonne chope de bière alors même qu'ils mettaient un pied sur le plancher du lieu. Toujours souriants, les deux serveurs allaient et venaient avec les mains encombrées par des récipients remplis ou vides. Ils marchaient au rythme des cris et des rires joyeux des buveurs. Brob venait lui aussi d'arriver suivi de quelques autres villageois à la recherche de rassasiement. Rapidement, le patron se rangea derrière le comptoir et se mit à compter discrètement l'argent que ses deux employés avaient ramené pour le moment. Le sourire qui déformait ses joues indiquait bien le déroulement de ces affaires. Puis, après ses comptes, voyant à une table des hommes rigoler à s'en briser les côtes, il rejoignit l'ambiance de sa taverne en complimentant, en passant, le travail de Marina et Lancio. Petit à petit, gorgée de bière par gorgée de bière, les clients devenaient ivres. Ils se mettaient à danser en ligne en se tenant les épaules l'un l'autre tout en pliant une jambe en l'air pour ensuite la tendre au rythme de la chanson d'un autre homme saoul. Mais à la fin, les danseurs tombaient comme des dominos et le chanteur s'étranglait dans son vin. Tout le monde riait. L'air se réchauffait. Il faisait bon-vivre. Marina offrit, comme promis, du rhum à Lancio. Ce dernier, but deux gorgées et en laissa pour son amie ravie. Ils se mirent, ensuite, à observer le spectacle que leur offrait la taverne. À part Marina, il n'y avait aucune femme, seulement des hommes. De même, aucun Pokémon ne semblait autorisé. Brob, lui-même ne voulait pas faire sortir son Gloupti de peur qu'un malencontreux accident survînt. Aucun client n'en avait le droit par interdiction du patron. Malgré cette restriction, les visiteurs s'y faisaient et même ivres n'allaient pas chercher une bête chez eux ou, pour les plus riches, ne lançaient pas leurs Chromacristaux, objets capables de capturer et d'utiliser un Pokémon. Il n'y avait que des hommes. En général, les villageois les plus ivrognes de la taverne travaillaient dans les champs tous les jours. À la sueur de leur front, ils béchaient, creusaient, semaient et arrosaient sur leurs maigres terres pour quelques légumes minuscules presque moisis, fruits d'une patience de plusieurs semaines. Les artisans du village n'allaient boire chez Brob que pour noyer leur désepoir dans l'alcool pour une quelconque raison. Personne n'aimait l'ambiance qui suivait lorsqu’un de ces bourgeois entrait dans la taverne. Heureusement, ces intrusions se comptaient sur les doigts de la main. Cependant, malgré une bonne chaleur humaine, le commerce de Brob était assis sur une histoire de tristesse. D’abord, l’exil du patron mais aussi les débuts difficiles. Les clients ne venaient pas nombreux aux premières ouvertures de la taverne. L'argent ne suivait pas non plus. Il y eut des larmes, des cris et des explosions de colère. Puis, la solution fut trouvée et les rires ainsi que la satisfaction trébuchaient dans chaque bouche. Brob devint un homme assez riche même s'il dépendait uniquement de son travail de distillation ou de fermentation. Mais les visiteurs s'appauvrissaient de jour en jour. Les terres semblaient maudites et ne leur permettaient rien, ni vente, ni alimentation. Le vin se transforma en puits à malheur. Cette boisson voluptueuse rendait quiconque la buvait plus joyeux. Elle permettait d'oublier les problèmes même si la toucher du bout des lèvres n'était pas gratuit. Heureusement, la clémence voire la pitié de Brob intervenait face aux taxes. Connaissant les hauts coûts des impôts soumis aux villageois par l'église, le patron affichait des prix vraiment très bas reflets de la qualité de son eau-de-vie. Et en dépit de toutes ces circonstances, la popularité de cette maison de saouls atteignait des pics si bien que Lancio et Marina purent rejoindre le personnel et recevoir un fond léger de monnaie.
Vingt-trois heures retentirent dans le village par des cloches presque sourdes. Sur les tables de la taverne dormaient des hommes ivres-morts. Seuls les clients plus résistants n'avaient pas succombé au marchand de sable. Brob et Marina paraissaient fatigués mais ils montraient qu'un fond d'énergie leur restait. Lancio, quant à lui, s'excitait à mesure que le temps s'écoulait. Dès qu'il entendit les carillons sonner dans le village, il sauta par-dessus le comptoir derrière lequel il surveillait d'un œil attentif les quelques buveurs restants et accourut vers son patron :
« M. Brob, je dois partir, lui dit-il.
-Déjà ? s'étonna le gérant. Et bien, vas-y. Je ne te retiendrai pas. Je ne pense pas que de nouveaux clients arriveront. Marina et moi allons assurer la fin du service.
-D'accord. Merci, sourit le futur dresseur. »
Alors que le jeune homme poussait la porte, Brob le rappela :
« Au fait, Lancio, la soirée a été excellente aujourd'hui et Marina et toi vous êtes démenés pour permettre à mes affaires de fleurir donc rien ne sera retenu sur ton salaire. Tu peux partir en paix.
-Oh c'est vrai ! s'écria le serveur. Merci infiniment patron !
-Bah… C'est pas grand-chose. Promets moi seulement de venir me montrer ton Pokémon lorsque tu l'auras reçu.
-D'accord. Sans problème. »
Lancio franchit le seuil de la porte et lâcha un dernier au revoir à son amie et à son supérieur. Puis, il sauta les quelques marches attachées à l'entrée de son lieu de travail et courut dans la nuit. La lune était quasiment pleine. Elle éclairait plutôt bien le sentier qu'il fallait emprunter jusqu'au temple des Mages. Il n'y avait presque personne sur la route à part une femme aux airs hâtifs et maniaques. Elle pressait un livre rouge si fort contre sa poitrine qu'on aurait dit que sa vie en dépendait. Sa marche rapide se transformait parfois en course au moindre bruit suspect. Sa nervosité était telle qu'elle heurta Lancio, le fit bousculer et risqua qu'il tombât. À la place de le relever, elle partit en courant sans demander son reste. Le futur dresseur au sol, fâché, maudit la passante déjà loin et se releva pour reprendre son élévation vers le temple des Mages. L'édifice sacré n'était pas facile d'atteinte. Tout en haut de la colline du village, il avait un champ de vue large sur la mer et le sol. Le terrain qu'il fallait emprunté pour le rejoindre était accidenté obligeant les marcheurs à devoir escalader des parois rocheuses et piquantes ou boueuses et puantes. Lancio dût se plier à l'exercice. Il s'agrippait aux plus grosses pierres et se balançait pour propulser son corps. Il trottinait lorsque la forme de la terre le lui permettait. Sautant, grimpant, courant, le jouvenceau essoufflé, arrivé à la moitié du parcours, se permit une pause. Il lui restait assez de temps pour atteindre son but. Il se mit à inspirer de grandes bouffées d'air et à en expirer d'autres aussi longues. Il se trouvait à une certaine hauteur déjà et pouvait apercevoir sa maison, celle de Marina et la taverne de Brob. Il esquissa un sourire. Puis, sa tête se releva. Son expression prit des airs de dégoûts. Dans le ciel obscur s'élargissait une nuée encore plus noire que les ténèbres. Elle semblait se mouvoir d'elle-même sans que le vent ne vînt la pousser. Chacun de ses bourrelets semblait gigoter d'écœurement. Le tout se présentait comme un chaos sombre et souffrant. Les poils du jeune observateur se dressèrent. Cette masse informe n'était autre que le nuage tache face auquel beaucoup de villageois avaient réagi par la déception lorsqu'ils l’avaient vu se laisser porter en plein crépuscule. Lancio se souvint s'en être plaint juste avant d'ouvrir les portes de la taverne. Pris d'un sentiment d'appréhension, le randonneur continua son chemin. Il recommença à tourbillonner dans le vide et user de ses muscles pour s'accrocher aux creux dans les rochers et s'élever de plus en plus. Tout en accomplissant cette corvée, l'escaladeur ne pouvait plus enlever l'horrible nuage noir qui flottait dans le ciel de ses pensées. Déconcentré et apeuré par le souvenir de la grosseur de l'amas ténébreux, il faillit tomber plusieurs fois en avançant. Se rendant compte du ridicule de son angoisse et des risques pris en y songeant, il redoubla de concentration et poursuivit son parcours du combattant.
Hahahahahaha… Je suis sûr que, pour vous, avoir peur d'un nuage relève de l'idiotie… Hahahahaha… Dites ça aux aéromanciens ! Ils vous fouetteront pour avoir insulté leur profession ! Hahahahahaha. Une chose est certaine, ce nuage ne leur inspirerait pas de bons présages… Une destruction, un carnage soudain peut-être ? Hahahahaha… Nous allons voir…
Minuit s'approchait. L’abomination sombre voletait ignoblement dans le ciel. Le village commençait à s'endormir complètement, dans une indifférence et une innocence douce. Lancio saignait légèrement des mains tellement il cadençait son avancée de plus en plus rapidement de crainte de ne pas arriver pile à l'heure fixée. Il constatait bien qu'il avait encore beaucoup à parcourir avant d'atteindre le campement des Mages. Il devait encore effectuer quelques acrobaties afin de toucher pied sur un terrain plat et de pouvoir courir vers le bâtiment de son entrevue. Une fois dans ces conditions, il se mit à galoper, emporté par une grande hâte. Il tomba une puis deux fois et faillit perdre équilibre une tierce fois dans son empressement. Il ne faisait attention à rien. Ce qui comptait était centré sur l'édifice jaune sable. Le garçon n’accordait même pas d'importance à sa respiration qui tenait malgré la vitesse à laquelle elle était utilisée. Des branches craquaient en rythme sous les pieds du pressé. Encore cent pas, cinquante, dix, cinq… Enfin, il arriva. Voyant l'effort physique fourni, Lancio revint à lui-même et reprit sa respiration avant de se diriger vers un buisson pour vomir derrière. Malgré ce léger affaiblissement, le jeunot était encore vigoureux et plein d'énergie, prêt à recevoir son dû.
Le glas de minuit tinta. Un sourire s'éleva jusqu'aux oreilles du jouvenceau. Il était temps. D'un poing ferme et excité, Lancio frappa à la porte violemment. Il n'y eut aucune réponse. Il frappa plus fort mais toujours rien. La troisième fois, il violenta le portail tellement fort qu'il arriva à fendre légèrement une des planches à moitié moisie de la porte. Pris d’impatience, il s'empara de la poignée et passa la tête à l'intérieur du bâtiment en criant : « Il y a quelqu'un ? ». Le silence lui répondit. Lancio tira une mine d'interrogation. Les Mages lui avaient pourtant dit de venir à minuit et qu'il y aurait quelqu'un pour accueillir le futur dresseur. Et là, personne…
La cloche de minuit sonnait encore au loin. Elle en était à son cinquième coup. Le jeune poussa la porte grinçante et fit quelques pas à l'intérieur. À ses souvenirs, au moins dix Mages habitaient le lieu mais personne ne s'était laissé remarquer. Il essaya un dernier appel : « Est-ce qu'il y a quelqu'un ? ». Mais aucune réponse ne lui parvint. Commençant à s'inquiéter, il progressa dans la pièce en observant le décor. Sur d’énormes plaques de marbres posées sur des bureaux en bois d'acajou s'entassaient des livres par dizaines traitant de sujets scientifiques. À côté de ces tas de livres avait été monté une espèce de dispositif composé de fioles et de tubes en verre ressemblant un peu au matériel de distillation de Brob. Des fanions arborant des écus inconnus pendaient aux quatre coins de la pièce. Une large table en bois entourée de deux bancs de même matière trônait au milieu de la salle. Un escalier de fortune collé au mur ouest permettait de se rendre à l'étage. Les pas de Lancio grincèrent affreusement sous les marches si bien qu'il grimaça. Une fois en haut, il laissa traîner son regard rapidement et constata qu'à part des lits, il n'y avait personne. Il redescendit en traînant les pieds, déçu de ne jamais pouvoir connaître un compagnon. Il se rangea derrière le bureau aux livres et soupira un grand coup. Puis relevant la tête, il s'aperçut qu'un morceau de parchemin avait été laissé au milieu des bouquins. Intrigué, le jeune commença à lire à voix haute ces mots :
« Si vous trouvez cette lettre, fuyez ! »
Sans avoir le temps de méditer sur ce message, Lancio sursauta. Une explosion avait fait trembler la terre et des éclats de lumière parvenaient à l'intérieur du temple depuis la porte ouverte. Il se leva d'un bond et accourut dehors. Le paysage qu'il se mit à contempler n'était plus le même que tout à l'heure. Sur la place du village, au loin, se croisaient des rayons mauves, rouges et noirs. Leur origine était la même : le menaçant nuage somber qui flottait dans le ciel. Lancio força sur ses yeux et se rendit bien vite compte qu'il ne s'agissait pas d'un phénomène météorologique. Au contraire, une nuée de dragons noirs, monstrueux à trois têtes dont celle du milieu effrayait plus que les deux autres lévitaient dans le ciel de la nuit. Ces abominations crachaient d'incessantes gerbes de feu ou d'ombres mettant en péril tout le bourg. Les habitants criaient et hurlaient à la mort. L'église avait été la première détruite puis il y eut la taverne de Brob. Une larme coula sur la joue du témoin de ce funeste spectacle. Il se sentait impuissant. Il voyait les meilleurs dresseurs du village être défaits par ces créatures noires. Il voyait toutes les femmes et leurs enfants succomber à la souffrance de graves blessures. Il voyait la danse effrénée des flammes sur les toits des maisons croulantes. Il voyait ces bêtes affreuses démembrer des fuyards pour s’en partager diverses parties à mettre sous leurs crocs. Puis, il regarda la maison de Marina, en haut de la colline, exploser sous la puissance d'une attaque à longue portée. Enfin, le jouvenceau éclata en sanglots lorsque la chaumière de ses grands-parents fut réduite en cendres. Il criait de douleur tandis que le massacre continuait. Il criait fort et pleurait des larmes d'amertume. Il se mit à genoux et se griffa le visage en hurlant vers le ciel. Il ne lui restait qu'à perdre sa vie.
Hahahahaha. C'est mon moment préféré ! Soyons clairs, Lancio ne va pas se tuer. Sinon, ce ne serait plus une histoire. En tout cas, savourez cet instant du mieux que vous pouvez ! Ce n'est pas tous les jours qu'on voit la Division 64, celle des dragons des ténèbres… Hahahahahaha.
Le garçon se releva. À cet instant, trois rayons d'une grande puissance vinrent pulvériser le bâtiment derrière lui. Lancio voltigea sous l'effet de l'onde de choc qui suivit. Il écroula toute sa masse au sol et ferma les yeux. Il repensait au livre qu'il lisait. Puis à ses grands-parents et à Marina. Tous ces moments ne s'inscriraient plus qu'en souffrance dans sa mémoire. Sa blessure à la tête le ramena à la réalité. Il ouvrit ses paupières dont les cils étaient couverts de terre séchée. Il remarqua quelque chose dans l'herbe, un objet brillant non-loin de lui. Pris de curiosité, le jeunot fit un dernier effort pour se relever et se dirigea vers le sujet de son intrigue. C'était une pierre azur transparente à travers laquelle on pouvait apercevoir une espèce d’esprit tourner dedans. Un bout de papier brûlé accroché à une ficelle qui entourait le cristal permit au survivant de savoir de quoi il était question. En caractères simples s'inscrivaient quelques lettres :
« Chromacristal _______ 001 ______ Puissance Cachée et Abri _____. »
Sans trop de conviction, Lancio jeta la gemme qui se brisa et dévoila dans des salves de faisceaux lumineux une drôle de créature. Toute cette agitation ne passa pas inaperçue par l'un des dragons noirs qui vomit une nuée de flammes vers le jeune garçon. Pris de panique, il cria en une fraction de seconde :
« Abri ! »
En deux temps, trois mouvements, la bête sortie du cristal se retourna et créa un fabuleux mur de lumière qui absorba le pilier de flammes et prévint ceux qui se cachaient derrière d'être brûlés. Après quoi, Lancio prit ses jambes à son cou en emportant cette mystérieuse créature avec lui. Il ne courut pas beaucoup avant de s'écrouler. Son sauveur lui prit un bras pour le mettre sur ses épaules et le soutint assez longtemps avant de déposer l'affaibli sur une terre mousseuse à l'ombre des lamelles d'un champignon géant pour qu'ils pussent tous deux s'endormir…
Hahahahaha. J'espère que ça vous a plu ! Il est temps de se retirer dans l'ombre et de sombrer dans un profond sommeil inquiétant. À la revoyure, chers lecteurs ! Hahahahaha.
Au milieu des flammes de la destruction se dressèrent un être sombre et son vassal. L'être cria de rage et ordonna à son vassal :
« Rappelle les Trioxhydre ! Il n'est pas ici… »